Dans Le JDD, des éditeurs ont raconté le moment où un auteur a quitté leur maison.
Antoine Gallimard raconte le départ d’Hector Bianciotti
« La crainte qu’un auteur parte ailleurs est tenace. L’éditeur avance toujours sur une corde raide. D’une part, il a peur de passer à côté d’un grand texte. On a souvent parlé de l’erreur de la maison Gallimard avec la Recherche de Proust. D’autre part, l’éditeur est un galeriste, un collectionneur, et quand il est dans la littérature générale, il désire suivre l’auteur le plus longtemps possible. Je suis attaché à la notion de compagnonnage. Au-delà des questions de finances ou de reconnaissance, de véritables liens se tissent entre auteur et éditeur au fil des années. La relation qui se noue est à la fois solide et fragile. Solide, car elle est faite d’estime et de complicité sincères. Fragile, car si le livre ne se vend pas, l’éditeur en est tenu pour responsable. L’éditeur est à la fois un ami sur qui on peut compter et une caisse de résonance de l’angoisse de l’écrivain. La difficulté est là : on ne doit pas être omniprésent, mais on doit être présent. Les questions financières entrent en ligne de compte, dans les rapports entre un éditeur et un auteur, et il ne faut pas les éluder. Elles sont d’autant plus prégnantes, depuis une dizaine d’années, avec une accélération de la best-sellerisation dans les différents secteurs de l’édition. Les relations sont directes avec les auteurs français et j’y suis sensible. Je tente de conserver un esprit familial dans le travail.
« J’ai vécu le départ d’Hector Bianciotti comme une trahison »
Quand on s’investit personnellement dans une relation avec un auteur, son départ est forcément douloureux. J’ai vécu le départ d’Hector Bianciotti comme une trahison ou, plutôt, comme un abandon. Hector Bianciotti a commencé à rédiger des rapports de lecture pour Gallimard dès 1962 ; il y a publié Le Traité des saisons en 1977 ; il a siégé au comité de lecture à partir de 1983 car j’avais convaincu mon père de l’y faire entrer. Hector Bianciotti m’a annoncé qu’il me quittait en 1989, et ce fut pour moi un drame. La maison était alors perturbée pour des raisons de rivalités familiales. Je venais de reprendre la maison dans un contexte difficile, et lui, que je considérais comme un ami, m’annonce qu’il part pour rejoindre Jean-Claude Fasquelle. Il a publié chez Grasset, à partir de 1992, sa magnifique trilogie autobiographique : Ce que la nuit raconte au jour (1992), Le Pas si lent de l’amour (1995), Comme la trace de l’oiseau dans l’air (1999). Nous avions parlé ensemble de cette trilogie. Je regrette de ne pas l’avoir publiée.
J’avais avec Hector Bianciotti des relations professionnelles mais aussi personnelles. Nous avons passé des vacances ensemble. Hector était un homme délicat, intelligent, érudit, ouvert, distingué. Il n’était pas narcissique : il avait un véritable intérêt pour l’autre. Ses amitiés étaient sincères. Hector était d’une élégance permanente. Il était chez lui chez Gallimard, sa famille, sa maison, et puis il est parti. Je lui ai dit : « Nous sommes si amis et vous partez au pire moment pour moi. » J’ai été malheureux. Je perdais un ami et un auteur. J’aimais converser avec lui de tout et de rien. Cela allait de Borges dans la Pléiade aux questions d’amour et d’amitié. Philippe Sollers et Pascal Quignard n’ont pas tangué, mais lui a décidé de s’en aller. Pourquoi est-il parti? La maison était alors fragilisée, et je pense qu’il a eu peur de tout perdre. La presse distillait des informations inquiétantes sur l’avenir de Gallimard, et son besoin de sécurité était immense. Je n’ai pas su, pas pu le rassurer. Il avait besoin d’une figure paternelle que je ne pouvais pas incarner et qu’il a trouvée en Jean-Claude Fasquelle. Je l’ai compris seulement avec le temps. Les années ont passé et je l’ai appelé un jour pour lui assurer que Gallimard était toujours sa maison. Je lui ai dit : « Revenez. » Hector Bianciotti est revenu en 2000 et on a publié Une passion en toutes lettres en 2001. Il est vite tombé malade, et il mort en 2012. Je suis content aujourd’hui de pouvoir lui rendre hommage. Hector m’a manqué quand il est parti et il me manque encore aujourd’hui. »
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