Le Journal littéraire Laurent Quintreau Regard Aymeric Patricot Professeur-écrivain : sacrée double casquette ! L’Interview imaginaire Colette nous reçoit route des Canoubiers, à Saint-Tropez. La Pause Alban Perinet et Jean-Baptiste Gendarme ont lu la biographie de Georges Lambrichs d’Arnaud Villanova Posture (et imposture) de l’homme de lettres Jean-François Kierzkowski
Leçon de séduction à l’usage des auteurs et de leurs éditeurs. Notes et propos Patrice Jean
Contre les ateliers d’écriture. Et moi, je vous en pose des questions ? Nicolas Fargues Presque tout savoir sur l’auteur en moins d’une minute, montre en main
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Le dossier thématique
« Le livre que je ne pensais
pas écrire »
Les journalistes l’ont mentionné et il l’a dit lui-même : son ambition était
d’écrire « un petit livre souriant et subtil sur le yoga ». Au final, Emmanuel Carrère a raconté son combat contre la dépression. Le roman s’appelle quand même Yoga (Éditions POL, 2020).
Parfois, on commence un projet avec une idée précise en tête et au fil de l’écriture on découvre que c’est un autre livre qui est en train de naître.
Peut-on tout prévoir ? Comment on tient le fil de son histoire ? Comment on commence et comment on termine ? Comment s’écrit un roman ?
Douze écrivains reviennent sur l’imprévisibilité de la création et évoquent ce livre qui ne ressemble pas du tout à l’idée qu’ils en avaient avant de le commencer.
Cécile Ladjali Claro François-Henri Désérable Karine Tuil Mark Greene Maria Pourchet Patrick Autréaux Salim Bachi Raphaël Meltz Valentin Retz Valérie Zénatti Yves Ravey
La Panoplie littéraire
Dès l’âge de sept ans, Catherine Cusset a su qu’elle voulait devenir écrivain, elle a fait des études littéraires et une thèse sur Sade – elle a enseigné la littérature du XVIIIe siècle à l’Université de Yale pendant douze ans –, son premier texte a trouvé une place dans la revue de Philippe Sollers, L’Infini, à l’été 1986. Son premier roman, La Blouse romaine, viendra quatre ans plus tard : elle n’a que 27 ans.
Depuis, Catherine Cusset qu’on associe souvent – et un peu trop rapidement – à l’autofiction a écrit 17 livres, qu’elle classe en « romans autobiographiques », « autofictions »,
« vrais romans » et « romans vrais ». À chaque fois, on trouve la même quête de la vérité émotionnelle : le désir permanent de saisir l’âme humaine au plus près, de creuser les rapports intimes, sans jugement.
Livre après livre, on est toujours autant séduit par son efficacité narrative, son sens de la mise en scène, son écriture au cordeau, et ce regard qui fait mouche quand il s’agit d’épingler la complexité des sentiments.
Catherine Cusset invite nos lecteurs à se glisser dans les coulisses de son travail d’écrivain.
Illustration d’Elise Jeanniot pour la nouvelle d’Alexis Ferro
Créations
Alexis Ferro L’Italie à mes pieds – Partie III, Assise.
Histoire en trois parties illustrée par Élise Jeanniot Patrice Pluyette Tu ne te conformeras point à ce monde qui t’entoure
Nouvelle illustrée par Boll Jean-François Santolini Victor Plumel
Nouvelle illustrée par Maya Brudieux
Le Journal littéraire Arnaud Dudek Regards Le boomerang de la réalité Mathieu Simonet L’Interview imaginaire Jules Renard La Pause Alban Perinet et Jean-Baptiste Gendarme Posture (et imposture) de l’homme de lettres Jean-François Kierzkowski Et moi, je vous en pose des questions ? Miguel Bonnefoy L’Air Vilain Philippe Vilain Une autre histoire de la littérature Notes et propos Patrice Jean
Thématique : "De la page à la scène"
Paul Valéry note, en 1931, « Écrire, c’est entrer en scène. Il ne faut pas que l’auteur proclame qu’il n’est pas comédien. On n’y échappe pas. » Il est peu probable que Valéry pensait aux nombreux festivals et autres scènes littéraires qui se multiplient partout sur le territoire et occupent de nombreux écrivains le week-end. Concerts littéraires, lectures musicales, performances… De plus en plus d’écrivains quittent ainsi la tour d’ivoire pour fouler les planches et aller à la rencontre de publics qui excèdent leurs seuls lecteurs. Comment s’improvise-t-on « acteur » le temps d’une soirée ou d’une tournée. Ou pourquoi, au contraire, refuse-t-on l’exercice ? À travers ce thème, des auteurs questionnent ce moment où la littérature sort du livre, se déploie autrement, se confronte à d’autres pratiques artistiques. Ou, au contraire, ils racontent pourquoi ils refusent la performance, à l’instar d’Henri Michaux qui disait : « Ceux qui veulent me voir n’ont qu’à me lire, mon vrai visage est dans mes livres. » Avec : Arnaud Cathrine Blandine Rinkel Carole Fives Clément Bénech Gaëlle Obiégly Maria Pourchet Nathalie Kuperman Philippe Jaenada Valentine Goby Et les apparitions de Marie Nimier et Yves Ravey.
La Panoplie Littéraire
Jakuta Alikavazovic par Baudouin, 2022
L’auteure de Comme un ciel en nous (Prix Médicis 2021) raconte son parcours de lectrice, évoque les écrivains et les livres qui comptent et revient sur ses romans – mais ne dit rien sur le prochain : « Je suis à ce stade de l’écriture où il serait tabou de dire quoi que ce soit du travail en cours. »
Créations
Alexis Ferro L’Italie à mes pieds – Partie II, Venise. Histoire en trois parties illustrée par Élise Jeanniot
Patrice Pluyette Trois jours sans parler Nouvelle illustrée par Elis Wilk
Robert Benchley L’appât de la canne à pêche Une courte nouvelle traduite de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Brument et illustrée par Floriane Ricard
Gérard Berréby Vie désordonnée Dix poèmes illustrés par l’auteur
À l’occasion de la parution d’un texte inédit de Céline (Guerre, Gallimard, 2022), nous publions ici l’Interview imaginaire du numéro 53, réalisée en 2015.
Céline nous reçoit chez lui – vous connaissez : la maison de Meudon, les chats, les chiens, le perroquet, les cours de danse à l’étage… Céline est assis dans un fauteuil sous la tonnelle. Une épaisse couverture couvre sa robe de chambre. Il semble fatigué. Il pleut. *
*Pour nos lecteurs les plus curieux, sachez que les réponses sont extraites des Cahiers de la NRF consacrés à Céline (8 tomes) et de sa correspondance.
Comment allez-vous ? On nous a dit que vous étiez légèrement déprimé ? Oh non, je ne suis pas cyclothymique du tout. La cyclothymie est une maladie artiste et fort distinguée. J’en suis loin ! Je suis crevé de migraines, insomnies et vertiges de première et rhumatismes. Toutes affections bien tangibles, coriaces, banales, vulgaires au possible enfin un névrome au bras – (de blessure) qui me fait souffrir le diable.
Mais bon, vous êtes là… C’est par une suite de miracles que je suis là et pas au gniouf ni crevé. Mais il faut pas tendre la corde au miracle ! Elle pète d’un mot de travers – tel est mon sentiment – joliment ancré ! Si je m’en fous d’avoir tort ou raison ! Les quelques saisons qui me restent à vivre m’intéressent, à ne pas trop souffrir ! Ce sera ardu ! J’ai tout contre moi : carats, maladies, impécune, boycott – j’ai fait le con, je paye, c’est régulier.
Revenons à vos débuts, vous étiez médecin, vous avez décidé d’écrire… Pourquoi ? Pourquoi ? Pas par vocation. Je n’y avais jamais pensé. Mais je connaissais Eugène Dabit… Il venait d’avoir un gros succès avec son Hôtel du Nord. J’ai pensé : « J’en ferais bien autant. Ça m’aiderait à payer le terme. » Alors je m’y suis mis, à fond, cherchant un langage, un style chargé d’émotion, direct…
Votre « petite musique »… Je l’appelle « petite musique » parce que je suis modeste, mais c’est une transposition très dure à faire, c’est du travail. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est calé. Pour faire un roman comme les miens, il faut écrire 80 000 pages à la main pour en tirer 800. Les gens disent en parlant de moi : « Il a l’éloquence naturelle… il écrit comme il parle… c’est les mots de tous les jours… ils sont presque en ordre… on les reconnaît. » Seulement voilà ! c’est « transposé ». C’est juste pas le mot qu’on attendait, pas la situation qu’on attendait. C’est transposé dans le domaine de la rêverie entre le vrai et le pas vrai, et le mot ainsi employé devient en même temps plus intime et plus exact que le mot tel qu’on l’emploie habituellement. On se fait son style. Il faut bien. Le métier c’est facile, ça s’apprend. Les outils tout faits ne tiennent pas dans les bonnes mains. Le style c’est pareil. Ça sert seulement à sortir de soi ce qu’on a envie de montrer.
Quand même, depuis le temps, cette petite musique, elle vient facilement, non ? Je suis un pauvre travailleur, n’est-ce pas. Comme disait Descartes, je n’ai pas plus de génie que les autres, mais j’ai plus de méthode, n’est-ce pas !
Des écrivains vous ont-ils influencé ? Non, je crois que je ne dois rien à aucun écrivain. Ce qui m’a influencé, c’est le cinéma.
À ce propos, vous avez vu le dernier film de Jean-Luc Godard ? Aujourd’hui, il est minable. Il s’obstine maintenant à vouloir faire de la philosophie. Il a un message. C’est drôle, n’est-ce pas ?
Et Fast and furious 7 ? De la merde !
Il ne vous aura pas échappé que le monde va mal. Cette année [2015] a connu de nombreux événements : l’attentat à Charlie Hebdo, Daech, Boko Haram, l’Ukraine, la Syrie, le Kenya… Comment voyez-vous l’avenir ? Si tous les hommes ne voulaient pas aller à la guerre, c’est très simple, ils diraient « Je n’y vais pas ». Mais ils ont le désir de mourir ; il y a un désir, il y a une misanthropie chez l’homme.
Quand même… Je vois des quantités de jeunes gens qui se mettent des barbes, n’est-ce pas, qui jouent les chauves… Maintenant, il faut que… vous avez vu que… ils s’envoient des messages… On se dit, mais au nom de quoi ? Ils n’ont rien foutu du tout, ils ne savent rien faire. Ce qu’ils tripotent est extrêmement débile, n’est-ce pas.
Heu… que voulez-vous dire, exactement ? Vous parlez des hipsters ? Vous comprenez… un petit truc : cette civilisation, elle fout le camp…
D’accord. Revenons à la littérature. Vous avez suivi un peu la dernière rentrée littéraire ? Aujourd’hui, on découvre un Balzac par semaine et trente George Sand. Du vent ! Y a personne ! Le charlatanisme mangera le roman et les belles-lettres. C’est pas moi qui cause ; c’est Brunetière. Il avait raison. Y a trop de publicité. Le Goncourt, c’est le plus mauvais roman de l’année.
Il y a de bons Goncourt… Je dis que ce que l’on fait, ce sont des romans inutiles, parce que ce qui compte, c’est le style, et le style personne ne veut s’y plier. Ça demande énormément de travail, et les gens ne sont pas travailleurs. On ne va pas vous parler de l’autofiction, alors… C’est dégoûtant d’écrire sur soi-même, moi, moi, moi ; et se faire sympathique ce serait plus dégoûtant encore, il vaut mieux se présenter au public sous un jour ignoble. Il faut que le caractère soit plus vrai que lui-même.
Que vous inspire le classement des meilleures ventes paru dans Livres Hebdo la semaine dernière ? Ne m’intéressent que les gens qui ont un style ; s’ils n’ont pas de style, ils ne m’intéressent pas. Et c’est rare, un style, Monsieur, c’est rare. Mais des histoires, il y en a plein la rue : j’en vois partout des histoires, plein les commissariats, plein les correctionnelles, plein notre vie.
On ne vous a pas entendu réagir sur le mouvement « pas d’auteurs = pas de livres » ? Des bêtises… des questions de gonzesses !
Tout de même, la situation de l’écrivain est préoccupante. Il n’a qu’à se résoudre à son sort, penser à son père, sa mère, ses frères, ses cousins… Bon, d’accord. L’auto-édition tend à se développer, vous pensez que d’ici quinze ans les éditeurs auront disparu ? Oh, ces éditeurs tels ou tels sont les mêmes fripouilles – commerçants – bluffeurs – enculés ou gouines – que nous importe ! Pas un pour en racheter l’autre. Il faudrait qu’on s’édite nous-mêmes – en réalité comme Péguy – vendant moins, mais qu’au comptant, cash cash. Pas d’histoires pas de contrats pas de chichis.
C’est ce que vous envisagez pour votre prochain livre ? Vous travaillez à un nouveau roman ? Oui, oui, j’écris… Il faut que je vive, c’est pour ça que j’écris, non ! Je hais ça. J’ai toujours haï ça… c’est la chose la plus terrible pour moi. Je n’ai jamais aimé ça, mais j’ai un don pour ça… ça ne m’intéresse pas le moins du monde, les choses que j’écris, mais il faut que je le fasse. C’est une torture, c’est le travail le plus pénible du monde. Pensez-vous qu’on vous lira encore dans 50 ans ? La postérité, ça regarde personne. Le classement interviendra après. À condition que la langue française ne sombre pas dans l’oubli !
Et comment aimeriez-vous mourir ? Le moins douloureusement possible… moi, 35 ans d’agonie… La bascule sans douleur.
Le Journal littéraire
Vincent Message La Pause
Jean-Baptiste Gendarme et Alban Périnet L’Interview imaginaire Jacques Chardonne Posture (et imposture) de l’homme de lettres Jean-François Kierzkowski Le service de presse Une autre histoire de la littérature Les inconséquences de Gide L’Air Vilain Philippe Vilain Le chant des refusés Et moi, je vous en pose des questions ? Catherine Cusset Tout savoir sur l’auteur en moins d’une minute, montre en main
Dossier thématique : Comment on a refusé certains de mes livres
C’est une chose entendue : le refus de l’éditeur, les auteurs y sont souvent confrontés quand ils essaient « d’entrer en littérature ». Mais il arrive aussi que l’auteur le rencontre tout au long de sa carrière littéraire.
Souvent, l’écrivain déjà publié qui confie son nouveau manuscrit ou qui évoque avec son éditeur son travail en cours, attend un soutien, un accompagnement.
Que se passe-t-il quand le texte ne rencontre pas l’enthousiasme attendu ? Quand l’éditeur, malgré son soutien sur les livres précédents, dit non ?
À travers ce thème, des auteurs reviennent sur la relation de confiance qui se noue avec l’éditeur, sur les conflits (formels, commerciaux, humains) qui peuvent naître après quelques années d’une fructueuse collaboration.
Avec : Véronique Ovaldé Patrick Autréaux Patrice Pluyette Franz Bartelt Pierre Vinclair Arthur Dreyfus Laurent Sagalovitsch Julien Bouissoux Vincent Ravalec Philippe Forest
La Panoplie littéraire
Chlolé Delaume
« Le réalisme, j’ai du mal », tranche Chloé Delaume. Les lignes trop droites aussi l’indisposent. Après un passage par les revues expérimentales, elle se lance dans le roman avec, à chaque fois, un dispositif qui colle à son sujet. L’exploration de son œuvre entraîne de l’autofiction au roman conceptuel en passant par le roman primable – elle a reçu le prix Médicis en 2020 pour Le Cœur synthétique. Elle écrit des essais, des pièces, des fan-fictions ou des chansons, elle monte des performances, se produit sur scène, lit les livres des autres devant un micro pour jouer le rôle qui lui tient à cœur : « Je suis une passeuse », dit-elle, comme si les livres des autres comptaient plus que les siens.
Chloé Delaume nous reçoit, une après-midi sombre, au cœur de son salon-bureau, véritable cabinet de curiosité.
Créations
Alexis Ferro L’Italie à mes pieds – Partie I, La Toscane.
Histoire en trois parties illustrée par Élise Jeanniot Quentin Desauw Sur le fil
Nouvelle illustrée par Manon Bucciarelli Norbert Crazny Nos solitudes
Nouvelles illustrées par Floriane Ricard Sandra Jaton Quelle mère !
Nouvelle illustrée par Elis Wilk
On connaît
la chanson : il n’y a plus de critique ; la presse ne fait plus
vendre ; le critique : un écrivain raté, un type imbu de lui-même au
ventre mou ; de toute façon, les critiques ne lisent pas les livres… N’en jetez
plus ! Le critique littéraire est rhabillé pour l’hiver.
Arnaud Viviant dans un réjouissant Cantique de la critique (La Fabrique) revient sur ce drôle de travail qui consiste à être payé (souvent mal et peu) pour lire des livre et en rendre compte. Viviant, « généraliste de la littérature », précise : « pour décrire ma fonction, je préfère utiliser le terme de chroniqueur littéraire plutôt que celui de critique qui semble un manteau trop grand pour moi. »
La critique, qu’est-ce que c’est ? Réponse de l’auteur : « la critique est l’écriture d’une lecture. » Et Viviant rappelle une chose simple : « il n’y a pas qu’une seule lecture. » « La lecture d’un critique, quel que soit son talent, est une proposition qui ne peut se suffire à elle-même et qui en attend d’autres. » A savoir : celle du lecteur qui aura lu la critique puis, avec un peu de chance, qui lira le livre dont il était question.
Dans ce bref essai Arnaud Viviant revient sur le rôle et le sens de la critique (littéraire). Il brocarde « l’avis des consommateurs » qui s’impose, alors que le « jugement » du critique s’amenuise peu à peu. La véritable critique, nous dit-il, est « l’écriture de l’aventure d’une lecture. » Avec qui a-t-on envie de partir en voyage ? Celui qui connaît les bons chemins qu’emprunte la littérature, ou avec celui qui prend les voies tracées, bien goudronnées sans relief, ni nids-de-poule ? On a notre petite idée.
C’est
plaisant, ironique, taquin. On a les mêmes lectures que Viviant – ainsi on
croise Sainte-Beuve, Thibaudet, Brenner, Nadeau, Paulhan, Barthes – on s’étonne
au passage de ne pas trouver Léautaud – on aperçoit aussi Maurice Pons – que
nous ne n’avons pas oublié – et André Blanchard. On est presque en
famille.
On se délecte des nombreuses citations et des anecdotes – surtout si on aime les citations et les anecdotes. Derrière ces lignes, parfois irrévérencieuses, on sent la passion de la littérature, le goût du partage, et la tristesse aussi peut-être de voir l’édition – et la littérature – sombrer de plus en plus dans le commercial. Viviant pose la question : « On peut critiquer un art. Mais critiquer une industrie ? » Vous avez 2 h 17 min pour y répondre.
Quand on cherche à se procurer une arme, il y a une chance
pour que ça finisse mal. Vasco ne nous contrariera pas : « J’ai su
que cette histoire allait trop loin quand je suis entré dans une armurerie »
confie-t-il au narrateur dès la première phrase de « Mon maître et mon
vainqueur », le nouveau roman de François-Henri Désérable (Gallimard).
Deux pages plus loin, le narrateur se retrouve dans le
bureau d’un juge qui cherche le fin mot de « cette histoire ». Quelle
histoire ? Celle de Vasco (Vincent Ascot) et Tina (Albertine de son prénom
complet) qui se sont rencontrés lors d’une soirée chez le narrateur. Entre
Vasco et Tina naît une passion aussi incandescente que l’écriture de Désérable.
Mais il y a un hic : Tina a un mari qui se trouve aussi
être le père de ses enfants (ils ont même le projet de se marier dans le
Luberon, à Beaumont-de-Pertuis).
Est-ce pour ça que Vasco entre dans une armurerie ? Fin
du suspense : oui.
Edgar Barzac, le mari, lui a gentiment écrit dans un mail :
« Je vais te défoncer à coups de batte. » (Sympa de prévenir). Vasco cherchait
alors à se protéger.
Et le juge qui en sait toujours moins que le lecteur voudrait
comprendre : d’où vient le revolver de Vasco et qu’est-ce que ce « cahier
noirci d’une vingtaine de poèmes » ? Coup de feu et poésie, voilà un
combo détonnant. C’est le lecteur qui se frotte les mains.
Jour de chance pour le juge : le narrateur est le
meilleur ami de Vasco et le confident de Tina. Le cul entre deux chaises. « Autant
dire qu’il attend beaucoup de moi, le juge. Et moi j’étais d’accord pour lui
expliquer ce qu’il voulait, si ça lui chantait je pouvais bien me faire l’exégète
d’un recueil de poèmes, mais enfin je l’avais quand même mis en garde, il
allait devoir s’armer de patience, tout cela allait prendre du temps. C’était toute
une histoire, cette histoire. » Le juge a le temps. Et le lecteur aussi
qui assiste, dans son fauteuil ou ailleurs, à la déposition.
François-Henri Désérable est un écrivain audacieux :
rien ne semble l’effrayer. Il se joue des mots et des situations les plus fantaisistes
avec panache, humour et poésie. C’est aussi habile qu’intelligent, aussi drôle
que facétieux, aussi sensible – telle une histoire d’amour qui finit mal – que haletant
– telle une histoire d’amour qui finit mal. Sa prose fuse comme une balle tirée
du pistolet de Verlaine (dont il sera aussi question). Il touche juste à chaque
ligne, tire en plein cœur. Le lecteur se laisse balader avec plaisir par l’auteur,
comme le juge se laisse berner sans déplaisir par le narrateur.
Louis-Henri de La Rochefoucauld (le narrateur de Château de sable, Robert Laffont) ouvre Tocqueville (en Pléiade, s’il vous plaît) et tombe sur un conseil offert à celui qui veut écrire : « Pour se mettre en train, il faut suivre sa fantaisie » Louis-Henri de La Rochefoucauld (l’auteur, cette fois) a bien suivi ce conseil.
Dans son nouveau roman, « sa fantaisie » le pousse à discuter avec Louis XVI et se balader avec Marie-Antoinette sur l’île Saint-Louis. « Pourquoi ne pouvais-je pas me défaire de ma généalogie ? » se demande Louis-Henri de La Rochefoucauld (lequel ? L’auteur ou le narrateur ?) Il y a des points communs entre les deux (le narrateur est pigiste pour la presse culturelle, comme l’auteur autrefois) et ils portent le même nom. Leur aïeul n’était pas n’importe qui : Le duc de La Rochefoucauld-Liancourt. [Rappel : le 14 juillet 1789, il répondit à Louis XVI qui demandait « Mais c’est une révolte ? – Non, Sire, c’est une révolution ! » Le bon mot est resté, on en a fait des slogans publicitaires.] Louis-Henri de La Rochefoucauld-narrateur cherche un sujet de roman. Pour Andreï Makine (de l’Académie française) rencontré au Wepler et page 16, le sujet est tout trouvé : la révolution ! « Refléchissez-y, La Rochefoucauld ! Aucun autre thème n’est intéressant pour vous. Vous ne pouvez qu’y revenir » Makine fait allusion au précédent livre de La Rochefoucauld-auteur : La Révolution française, Gallimard, 2013). La Rochefoucauld (lequel ? on ne sait plus) réfléchit : « La victimisation était tendance, mais le sanglot de l’aristo ne m’avait pas semblé un créneau porteur pour s’attirer les faveurs des médias » Pas faux.
Heureusement, La Rochefaucauld (l’auteur
cette fois) a plus d’un tour sous sa plume. Et surtout : il manie avec
style l’humour le plus fin et l’art de la dérision.
Son double romanesque se lance alors dans un projet fou : écrire une biographie de Louis XVI. « J’avais le goût des causes perdues, et, de même que le malaise aristocratique état inaudible, le plus grand des guillotinés était indéfendables. Quand aurait-il enfin un bon avocat ? » La Rochefoucauld-narrateur prévient, les condamnations à morts de la reine et du roi « avaient été expéditives » et il compte bien y remédier : « Il était temps de rouvrir leurs dossiers et de réécrire l’histoire. »
Dans un bar clandestin du quartier latin (presque un alexandrin !), « un repaire de royaliste, d’olibrius et de non-alignés, comme on n’en voit plus », La Rochefoucauld-narrateur croise le fantôme de Louis XVI, qui vit tranquillement parmi nous sous le nom de Louis Robinson (adresse personnelle : 17 quai Bourbon). A partir de cette rencontre, le roman prend son envol, devient tour à tour réflexion sur la chute de la monarchie et contemplation aussi loufoque que grave de notre époque.
La Rochefoucauld-auteur,
fin observateur (Ah ! presque un alexandrin, encore !), s’amuse
autant avec ses personnages qu’avec ses lecteurs qui assistent à un improbable et
réjouissant cours d’histoire.
Mais ce livre ne se réduit pas à une simple fantaisie
littéraire. Le roman pose plus sérieusement que ça en a l’air la question de l’héritage,
de la transmission : que léguer à ses enfants quand on a que des châteaux
de sable à leur offrir ?
Étonnant, subtil, mélancolique, drôle,
le roman enthousiasmera même ceux qui ont peur des fantômes.
Certains
romans vous arrachent au quotidien, vous frappent, vous bouleversent, vous remuent.
Ils vous obligent aussi à la concentration, à monter à l’assaut de la phrase,
de la page. Car au-delà de l’histoire, il y a une écriture. D’un mot : un
style.
Dans Les Garçons de la cité-jardin, chaque mot est pesé, chaque personnage, habilement dessiné, chaque dialogue aussi juste que s’ils étaient interprétés par un comédien de la Comédie française.
L’histoire – à la fois celle de ces « Garçons » (les Ischard) que de « la cité-jardin » (à Hildenbrandt, où on croyait à l’utopie d’une « une communauté idéale ») – prend de l’ampleur, chapitre après chapitre.
Comme tous les garçons du monde, « les enfants bénis de la cité-jardin complotent à devenir des hommes. » Mais on sait bien que ce n’est pas toujours facile.
La cité tremble quand les Ischard passent. Entendre crier dans la rue « Je suis un Ischard ! » et les yeux se détournent ou plongent sur les chaussures. Et encore : « Quand il était question d’eux, nul n’avait jamais été besoin de prononcer leur nom. » On voit le genre : « Irresponsables, asociaux, meneurs et récidivistes. »
Les Ischard ont appris à vivre avec l’absence de leur mère et un père taiseux. Photo de famille : Virgile, l’aîné, une brute parfois mélancolique ; Jonas « de constitution moins solide » (donc plus hargneux) a le coup de poing facile. Le dernier des Ischard apporte un peu de lumière. Melvil, « un enfant si sensible » qui tente de tracer sa route en échappant à la violence du monde (et de ses frères). Au sortir de l’adolescence, il bosse au service courrier « dans le sous-sol de la cité administrative ». Il s’accroche à ses amis, William et Hippolyte : « Un ivrogne et un infirme. Un intellectuel et un demeuré. Deux couillons. » Pas sûr que ça aide vraiment. Et puis un soir, « Nelly Burgmüller est là, dans le salon des Ischard, assise sur leur canapé. » Pas sûr non plus que ça arrange les choses de la vie…
Dans ce roman social d’une tension extrême – la fin est prodigieuse –, Dan Nisand nous raconte l’histoire de ceux qui tentent de donner un sens à leur vie quand tout semble sans espoir. Une question en filigrane : peut-on échapper au déterminisme social ? Une piste :« Dans le fond, un Ischard reste un Ischard, se dit-il comme pour se consoler – se convaincre. » Après avoir lu Les Garçons de la cité-jardin, le lecteur, lui, ne sera plus tout à fait le même lecteur.
On suit Raphaël Meltz depuis son premier livre (c’était aux Éditions du Panama, Mallarmé et moi. Hilarant, déjà.) Il revient avec un livre drôle, iconoclaste, pétillant, réjouissant.
Adrien est journaliste spécialisé dans le numérique – ça l’intéresse moyennement et il porte un regard décalé sur le monde qui a pris possession de notre temps (et de nos vies). Lui, ce qu’il aime, Adrien, c’est écrire. Il cherche un sujet de roman (comme par hasard).
« Pour écrire un roman, il n’y a qu’un seul cadre que j’accepte de me fixer, un seul cadre : pour écrire un roman, je dois être capable de convoquer les spectres – quelle autre définition, quelle meilleure définition que celle-ci, pour être écrivain il faut pouvoir convoquer les spectres m’avait dit un vieux monsieur un soir, c’était le 25 octobre 1995, c’était un clochard céleste comme on dit, un clochard lecteur… »
Les spectres ? « Tu devrais écrire sur papy c’est quand même un sacré sujet de roman » lui souffle son père. Papy ? Gabriel ? Celui qui a été un des premiers opérateurs du cinéma ? Celui qui a parcouru le vingtième siècle derrière sa caméra ? Hum… pourquoi pas se dit Adrien qui doit quand même y réfléchir un peu.
Raphaël Meltz aime jouer avec l’inter-textualité, ses personnages et surtout son lecteur. On ne le dira jamais assez : quand il y a de l’humour à l’écriture, il y a du plaisir à la lecture. Le style de Raphaël Meltz, c’est l’ajout, la circonvolution, la phrase qui tourbillonne, l’ironie qui mord, le dialogue qui frappe et la pensée qui claque. Ce roman n’est pas seulement le lieu de la joyeuse gaudriole : il y a aussi beaucoup de sensibilité dans le portrait de Gabriel avec qui on traverse le siècle de 1919 au 11 septembre 2001. Avec ce roman, Raphaël Meltz réalise exactement ce que son personnage Adrien ambitionne de faire : un livre qui avance « par cercles concentriques, c’est-à-dire tourner autour d’un sujet et avancer en même temps, se déplacer, dans le temps, dans l’espace, la perspective, la dimension, sans le faire de façon linéaire, ça c’est tellement facile… »
Raphaël Meltz construit son roman ainsi, passant d’une époque à l’autre, d’un sujet à l’autre, d’une théorie à l’autre. On rit beaucoup, on revisite l’histoire du cinéma, on ne veut ps que ça se termine trop vite. Mais même les bons romans ont une fin.
Cette semaine, toute l’édition française était suspendue aux listes de prix. Attente fébrile. On imagine dans quels états se trouvaient éditeurs et auteurs. Quand je vois les listes tomber, étrangement, je ne pense pas aux auteurs (et aux éditeurs) sélectionnés, mais aux absents. Ceux qu’on ne voit pas, ceux qu’on aurait bien vus. Liste après liste, on prend conscience qu’on ne les verra plus du tout. Ni dans les sélections, ni sur les tables des libraires. Ils disparaîtront de la rentrée. Le temps des désillusions arrive toujours plus vite que prévu. Le directeur de Stock, Manuel Carcassonne, dans un article au titre éclairant «La grande illusion de la rentrée littéraire» (La Revue des deux mondes, septembre 2021) analyse : «La rentrée littéraire est un miroir de nos péchés et de nos caprices, un accélérateur de nos faiblesses, un convertisseur de nos rares qualités en d’âpres défauts ; seuls les saints, et ils sont rares, traversent cette épreuve du feu sans perdre la tête. Certains disent : plus jamais ça ! J’en connais un, doué, qui arrêta d’écrire après avoir été recalé au Goncourt, soudain cancre.»
Goncourt. Alors, qui trouve-t-on sur la liste ? [Cliquez ici pour le savoir et aussi : Le Renaudot, Le Femina, le Wepler…]. Elisabeth Philippe sur le site bibliobs remarque : «Cette première sélection du Goncourt est à l’image de la rentrée littéraire : ouverte, sans nom qui domine réellement. Bref, tout est possible.» Vraiment? On a l’impression quand même de retrouver les mêmes noms qu’ailleurs (et toujours les mêmes, sans grande surprise). Pour Le Figaro, Mohammed Aïssaoui s’enthousiasme : «Le jury a prêté attention à des petites maisons telles que Mialet-Barrault qui fête ses deux ans !» (Il vise Philippe Jaenada et son formidable Au Printemps des monstres) Rappelons quand même que Betty Mialet et Bernard Barrault sont dans l’édition depuis les années 70. Les éditeurs expliquent sur leur site : la création en 2020 en plein confinement d’une maison est « surtout le prolongement d’une longue aventure ».
Angot «Le seul nom de Christine Angot risque, comme toujours, de faire grincer quelques dents.» souligne Elisabeth Philippe. Pourtant, pour le moment, on a l’impression que le livre fait l’unanimité. Petit tour d’horizon : « Prenant le risque de s’enfermer dans un sujet unique, [Christine Angot] poursuit le puzzle débuté il y a vingt-cinq ans » constate Laëtitia Favro dans Lire-Magazine Littéraire (N°499) Valérie Marin La Meslée dans Le Point (n°2559) ne dira pas le contraire « Alors oui, c’est sûr, on entendra que dans son nouveau roman Christine Angot ne dit rien de nouveau. » Mais « les livres de Christine Angot révèlent chacun un nouvel angle mort. » note Camille Laurens dans sa chronique du Monde des livres (N°23842) Pourquoi changer de sujet ? « Écrire est quelque chose qu’on estime devoir faire. Devoir. « Il faut que je le fasse » : j’ai besoin de ça pour me lancer. » confie à Minh Tran Huy dans Madame Figaro (n° 23961) Christine Angot, « exceptionnelle romancière » d’après Fabienne Pascaud dans Télérama (n°3736) – elle s’y connaît. À ce jour, on ne voit toujours pas qui grincent des dents. Le roman, que vaut-il ? Un « texte déchirant », « très tonique, libérateur » pour Claire Devarrieux dans Libération (n° 12501) Vous aimez les adjectifs ? en voilà d’autres : « étouffant, saisissant, impressionnant » pour Marianne Payot dans L’Express (n°3659) « Un texte d’une puissance inouïe sur le silence et l’inaction, la collaboration tacite. Un livre important. » pour Nelly Nelly Kaprièlian et Les Inrocks (maintenant mensuel, n°3) Pierre de Gasquet – dans Les Echos (n°23532) – s’intéresse au style : « Comme chez Marguerite Duras, le dialogue écrit envahit ses livres comme un remède aux insuffisances du récit. Mais il y a aussi une observation scrupuleuse, souvent poétique, des situations et des décors. » Il partage l’analyse de ses consœurs : « Dire qu’elle ressasse son traumatisme relève du truisme. Comment ne pas ressasser une tragédie ? La force de son écriture réside dans cet art de la dissection. » Dans L’Obs (n°2965) Elisabeth Philippe écrivait à la fin de l’été : « Comme si tout ce qu’elle avait écrit jusqu’à présent, avec éclats, avec fracas, échouant parfois tapageusement, se trouvait ici rassemblé et unifié. Peut-être qu’enfin les lecteurs vont comprendre non pas comment Christine Angot est devenue folle, mais pourquoi elle est devenue écrivain. » (Nous retombons dans nos thèmes de prédilection !) « Lire Le Voyage dans l’Est, c’est avoir une idée de ce qu’est la douleur, et la littérature. » conclut pour nous Olivia de Lamberterie (Elle, n°3949).
Critiquer la littérature Mais peut-on avoir une idée de ce qu’est la littérature ? La question ne finit jamais d’animer les débats. On n’aura sans doute pas la même définition de la littérature selon qu’on est auteur, éditeur, libraire, simple lecteur ou critique professionnel. Interrogé par La Revue des médias de l’Ina sur l’état de la critique, Pierre Assouline explique : « Il faut aussi savoir ce que signifie “critiquer”. » On est bien d’accord. «Ce n’est pas dire “j’aime” ou “je n’aime pas”» On est bien d’accord. «Il faut avoir une familiarité avec l’art en question, replacer l’œuvre dans le contexte du travail de l’auteur, voir dans quelle tradition elle s’inscrit, et aussi avoir une capacité d’écriture et de synthèse.» Et ce n’est pas donné à tout le monde. C’est aussi prendre le risque de se tromper. Et sur le livre, et sur l’auteur et sur la littérature. La semaine dernière, dans Les Échos week-end, François Busnel revient justement sur «certaines erreurs de jugement.» Evoque-t-il son trop-plein d’enthousiasme ? Non : on n’est jamais assez enthousiaste quand on défend la littérature (mais qu’est-ce que la littérature, à la fin !?!) François Busnel regrette sa position sur Michel Houellebecq qu’il jugeait autrefois surestimé : «C’est une erreur que je confesse volontiers. Je me suis trompé. Je ne suis plus le même lecteur qu’il y a vingt ans. Aujourd’hui, je pense que Houellebecq est l’un de nos écrivains les plus pénétrants et les plus subversifs.» On peut encenser un auteur qui va mal tourner et aussi ne pas lire un auteur qui, au fil des livres, va construire une véritable œuvre qu’on aura négligé à ses débuts. On imagine aisément l’angoisse du citrique : passer à côté d’un grand livre, d’un grand auteur. Ainsi chacun se surveille, et tout le monde parle en priorité des mêmes livres – publiés chez les mêmes éditeurs.
Frédéric Beigbeder est le genre de critique à l’enthousiasme communicatif. La semaine dernière dans sa chronique littéraire de Figaro Magazine, il écrivait : « Je tiens à remercier Abel Quentin de m’avoir permis de revenir aux fondamentaux du métier de critique littéraire : admirer. » Beigbeder, toujours à l’affût des tendances, analyse : « Il existe désormais une école de romanciers néobalzaciens, disciples de Houellebecq, qui décrivent la déliquescence française avec un sarcasme vengeur. » Abel Quentin est l’auteur d’un deuxième roman Le Voyant d’Etampes (Édition de L’Observatoire), qui se place, lui aussi, sur plusieurs listes de Prix. Dans Le Point Michel Zink – de l’Académie française, s’il vous plaît – nous dit que « Le roman est excellent. Il est amusant, glaçant et instructif. » Louis-Henri de La Rochefoucauld partage sans doute cet avis. On peut lire dans L’Express : c’est un roman «ultracontemporain» qui permet à son auteur d’«ausculter les cancers de l’époque.» La Rochefoucauld pose, noir sur blanc, la question qui nous brûle les synapses en riant à chaque page de ce roman : «Un livre d’anar de droite ?» Le critique de L’Express nous donne la réponse, ouf : « Pas du tout, et c’est là tout le talent de Quentin : se servir du roman pour mettre en scène les idées les plus variées sans se prononcer lui-même. Impossible de savoir ce qu’il pense. » L’auteur n’est pas le narrateur, rappelons-le. Le romancier sait rester secret et ne pas dévoiler le fond de sa pensée.
Le jeune Mohamed MBougar-Sarr qui met en scène un écrivain dans son roman – très remarqué aussi par les jurés (à juste titre) – La plus secrète mémoire des hommes (Philippe Rey) –, ne nous contrarierait sans doute pas. Extrait :
« – Je parie que tu es écrivain. Ou apprenti écrivain. Ne t’étonne pas : j’ai appris à reconnaître les gens de ton espèce au premier coup d’œil. Ils regardent les choses comme s’il y avait derrière chacune d’elles un profond secret. Ils voient un sexe de femme et le contemplent comme s’il renfermait la clef de leur mystère. Ils esthétisent. Mais une chatte n’est qu’une chatte. Il n’y a pas à baver votre lyrisme ou votre mystique en y noyant vos yeux. On ne peut pas vivre l’instant et l’écrire en même temps. – Bien sûr que si. On peut. C’est ça, vivre en écrivain. Faire de tout moment de la vie un moment d’écriture. Tout voir avec les yeux d’un écrivain et… – Voilà ton erreur. Voilà l’erreur de tous les types comme toi. Vous croyez que la littérature corrige la vie. Ou la complète. Ou la remplace. C’est faux. »
Nous voilà prévenus. Pourquoi écrire alors ? Si on ne peut pas corriger la vie ? « J’écris pour canaliser des peurs, explorer des obsessions. » révélait Jean-Baptiste Del Amo en début de semaine au Figaro. (Une piste intéressante) Il prévenait aussi : « J’essaye de ne jamais penser au lecteur quand j’écris, car c’est paralysant. Dans un premier temps, l’écriture est un mouvement égoïste. […] Dans un second temps, vient le partage. Arrivé à la fin, inévitablement, je me demande comment sera reçu le livre. » Bien donc, puisqu’il a reçu le prix Fnac.
“J’écris!” Loin des Prix littéraires – encore que… – dans L’Obs, cette semaine, Alain Mabanckou (écrivain et éditeur) raconte qu’il est allé au Café de Flore avec Charles Dantzig (éditeur et écrivain). Mabanckou préfère les cafés du 18e arrondissement, mais ce n’est pas lui qui a choisi le lieu du rendez-vous. Quand deux auteurs se rencontrent, ils parlent littérature. On le sait bien, quand on est passionné, on s’emporte, la voix monte : « La littérature française du continent noir n’aborde pas la question de la “bourgeoisie africaine” ! » s’enthousiasme Mabanckou. On imagine la conversation passionnante, on regrette de ne pas être assis à la table d’à côté. Soudain, un coup résonne dans le café grouillant de vie. Les deux auteurs sursautent : « C’est notre voisine. Elle se tourne vers nous et hurle de toutes ses forces : “Silence !!! J’écris !!!” » La table d’à côté était donc prise, aucun regret.
Livre-Monde Revenons, pour finir, à Mohamed MBougar-Sarr (raté pour ma « capacité de synthèse »). Les sélections pour les prix pleuvent sur ce « livre-monde, qui nous entraîne à Paris, Dakar, Amsterdam et Buenos Aires, où l’on traverse les apocalypses du XXe siècle comme on croise Borges, Sábato et Gombrowicz » (dixit Télérama n° 3736, sous la plume de Youness Bousenna. «Un joyau de savoir-faire qui vous enchante, vous transporte et vous poursuit » prévient Marianne Payot dans L’Express (n° 3660). Pour Oriane Jeancourt Galignani dans Transfuge (n°150) Mbougar Sarr glisse son stylo dans l’encrier de Nabokov : « l’auteur affectionne un même ton ironique et réflexif, joueur et poétique, pour feindre de nous mener vers une réalité qui toujours échappe. » Si on en croit Laëtitia Favro, dans Lire,« Son inventivité, son audace et l’intransigeance de sa langue font de ce livre, qui confronte les nécessités de vivre et d’écrire, une déclaration d’amour à la littérature propre à réenchanter une rentrée un brin austère. » Austère, la rentrée ? Pourtant, cette rentrée nous paraissait tout sauf austère. Je tiens justement une liste de livres drôles et iconoclastes. Malheureusement, nos amis les journalistes n’en ont pas encore parlé : vivement la semaine prochaine.