Cher Albert Cohen,
Je crois que sans vous je serais devenu un écrivain torturé par sa propre condition, un dépressif de la phrase ne sachant véritablement aimer les femmes bourgeoises qui possèdent un je-ne-sais-quoi de catholicisme érotique, un jeune homme incapable d’admirer les vieillards sans dents, les presque avocats, les dévoreurs de patrimoines, les capitaines des vents (bouchez vos nez), les sultans des tousseurs, et j’en passe… Peut-être qu’aussi je n’aurais pas su aimer ma mère, sans vous. Je n’aurais pas été grand chose finalement. Mais ceux qui détestent Belle du Seigneur pour sa longueur, pour son infinie variation sur le même thème, je peux les comprendre. Je n’ai pas un rapport intellectuel ou militant à votre œuvre. Mon rapport est purement physique et sensuel. Dès les premières lignes, je me suis senti en terrain connu. Cela a modifié ma vie, c’est-à-dire mon écriture et mon rapport aux femmes. J’ai voulu être Solal, j’ai voulu être Genève. Je suis devenu drôle en vous lisant. Je suis devenu moi en vous aimant. Parfois j’ouvre un de vos livres au hasard, et je prends juste une phrase, comme ça… voilà, je le fais maintenant… et je trouve cette phrase, page 36 de Mangeclous : « Certains sautaient sur place pour donner plus d’envol à leur intelligence ». Et voilà, c’est vous, c’est tout ce que j’aime chez vous mon cher Albert, votre tête fourrée entre la poésie et l’humour. Parfois, je pense avec émotion à votre cheville ; je me dis qu’en sautant sur place, j’y parviendrai un peu, à la hauteur de votre cheville. Comme je vous aime,
David Foenkinos
Décapage numéro 24 – mai 2005.