LE JOUR OÙ J’AI EU LE PRIX GONCOURT… PAR DOMINIQUE NOGUEZ

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, je m’en souviens comme si c’était hier, il pleuvait comme vache qui pisse.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, je l’ai refusé.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, j’ai été si surpris que j’ai eu un infarctus.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, c’est Patrick Rambaud qui a eu le Renaudot.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, je me suis dit : « Hé ! comme Proust ! comme Malraux ! comme Mandiargues ! comme Duras ! »

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, je me suis dit : « Merde ! comme Léon Frapié ! comme André Savignon ! comme Ernest Pérochon ! comme Maurice Constantin-Weyer ! »

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, j’ai mangé des huîtres à deux heures du matin dans je ne sais plus quel boui-boui avec je ne sais plus quelle attachée de presse et j’ai été malade comme un cheval.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, Huysmans était encore au jury.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, j’ai remarqué sur l’aile de mon nez déjà rose et rond la petite veine violette qui allait contribuer à sa métamorphose définitive en nez d’ivrogne et me valoir cette exclamation de Jean-Pierre Mocky, le jour où, trois ans plus tard, la dèche revenue, je participais avec trente autres pékins à un casting pour le rôle de Landru : « Putain, prenons celui-là : il a une trogne ! »

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, j’ai planté sur mon balcon un nouveau pied de marijuana.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, François Nourissier est mort à la fin du déjeuner chez Drouant.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, j’ai pensé à la réflexion de Raymond Guérin en visite chez Gallimard le jour où Marius Grout, écrivain maison, venait d’obtenir le Goncourt 1944 : «  On dirait que celui-ci [le jury du prix] se plaît à se discréditer. »

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, ma femme m’a quitté.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, quand il a annoncé le résultat, Armand Lanoux avait une trace de sperme sur sa braguette.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, j’ai acheté sur Internet l’ancien château de Jean d’Ormesson.

Le jour où j’ai eu le prix Goncourt, j’ai décidé de ne plus écrire.

 


Dominique Noguez
Décapage numéro 26, 2005.

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