La même attention
Dans le dossier du Figaro Magazine sur la rentrée littéraire – la rédaction présente ses 20 coups de cœur (les mêmes que dans les autres journaux, pas d’inquiétude) – une publicité attire mon attention. Sur une pleine page Le Figaro Littéraire (ça reste la famille) annonce une conférence – pardon, on dit masterclass maintenant – qui promet « un évènement exceptionnel ». Le thème : « Comment se faire publier ? Dans le secret des maisons d’édition » Le « secret » ? Vraiment ? Il y a donc encore de futurs auteurs qui se posent la question ? (Ce « rendez-vous numérique » a lieu le 29 septembre, vous pouvez encore vous inscrire si vous « ambitionnez de transformer [votre] manuscrit en un livre ») L’édition attire donc toujours. 2154 nouveautés en trois mois, et moi et moi et moi. Rappelons qu’avant l’été, les éditions Gallimard ont fait couler beaucoup d’encre en publiant ce message sur leur site : « Compte tenu des circonstances exceptionnelles, nous vous demandons de surseoir à l’envoi des manuscrits. Prenez soin de vous toujours et bonnes lectures. » Une éditrice de la maison expliquait à France Info : « Nous tenons à accorder la même attention à tous les manuscrits que nous recevons et nous répondons à tous les envois. C’est un travail considérable qui demande de la minutie et de la disponibilité d’esprit. C’est pour toutes ces raisons que nous avons demandé de suspendre, tout à fait momentanément, l’envoi des manuscrits. »
Tout pour se faire publier
Peut-on reprendre les envois ? Après avoir lu Biba ce mois-ci, sans aucun doute. La Une donne le ton : « J’écris mon premier livre : tout pour se faire publier. » (Témoignages à l’appui, donc.) L’auteur du dossier prévient en préambule : « Selon une enquête Harris Interactive, plus de 5 millions de personnes ont entamé, en France, l’écriture d’un manuscrit pendant le premier confinement. » On comprend alors la réaction des Éditions Gallimard. Le journaliste va plus loin : « Une autre étude […] montre, elle, que 84 % des femmes aiment écrire. » Mais qui n’aimerait pas ? Rappelons que ce n’est pas parce qu’on écrit que l’on devient écrivain (et surtout qu’on doit publier). Dans un encart, la rédaction a listé 10 conseils que je recommande de ne pas suivre (sauf le dernier) si vous ambitionnez vraiment d’écrire. Conseil numéro 9 : « Ne pas ignorer la logique des algorithmes si vous choisissez l’autoédition. Selon les premiers jours de vente sur Amazon, il peut figurer dans les recommandations du moteur de recherche et rencontrer un large public. » Ouf ! Les conseils concernent seulement ceux qui choisissent l’autoédition. La chaîne du livre peut souffler – et nous avec.
Pour savoir comment écrire un livre, il est préférable de se renseigner auprès d’écrivain. Ça tombe bien, c’est la saison des auteurs, on peut en écouter à la radio, en voir à la télé, en croiser en librairie. Le magazine Elle a interrogé Cécile Coulon sur sa pratique de l’écriture. Pour l’auteure de Seule en sa demeure – L’Iconoclaste (c’est le nom de la maison d’édition, je précise) – c’est « entre 7 heures et 13 h 30 » Là, Cécile Coulon est « complètement opérationnelle ». Pas de petit-déjeuner, précise-t-elle : « Je prends de l’eau, un café et un Matimalt » Si vous ignorez tout de Matimalt, lisez Elle, c’est page 84 – on ne peut pas tout vous dire. Et ensuite ? « Un gros brunch ». De son propre aveu, Cécile Coulon ne peut plus rien faire jusqu’à 17h30-18h, à part une petite sieste, de la course à pied ou la lecture d’un livre (déjà un sacré programme, diraient certains). Le soir, elle peut s’y remettre – ou pas, selon l’humeur. Dans le magazine Causette, elle précise : « Je voue ma vie à l’écriture. Elle est toujours passée avant tout le reste, avant ma vie privée, mes amis. » Voilà déjà une recette : une bonne hygiène de vie et un engagement sans limite dans le travail.
Si on en croit Télérama, on pourra aussi lire le prochain livre d’Edouard Louis pour se faire une idée sur le métier d’écrire. L’hebdomadaire culturel prévient : « chaque livre d’Édouard Louis est un événement, et Changer : méthode […] ne dérogera pas à cette règle. » Nous voilà rassurés. Dans ce livre, Edouard Louis « redéroule, avec une sincérité et une douleur également bouleversantes, le fil de l’itinéraire qui l’a conduit d’« un monde qui rejetait tout ce [qu’il] étai [t] » à l’écriture et la publication de son premier livre. » Vivement le 16 septembre, donc.
Un combat
On l’aura compris, écrire, ce n’est pas simple. Didier Jacob, dans L’Obs, à la faveur d’un papier sur le nouveau roman de Philippe Djian (Double Nelson, Flammarion) écrit : « le pire combat est celui de l’écriture ». Il a aussi noté une phrase dans le roman de Djian : « Je ne souhaite pas d’être écrivain à mon pire ennemi ». Ça donne l’ambiance.
Heureusement, tous les ans, de nouveaux auteurs osent se jeter dans l’arène, plume à la main. Comme le précise la directrice des éditions Héloïse d’Ormesson dans le magazine Lire Le magazine littéraire (ça sonne comme une injonction) : « La rentrée littéraire est sans merci. Une course d’athlétisme complète. » Il faut donc avoir du souffle. Sur les 75 premiers romans sur la ligne de départ, Le Figaro Littéraire présente douze « nouveaux visages » sur quatre pages – tout au long du mois de septembre le journal proposera sa sélection de nouveaux auteurs. Eric Neuhoff – on ne sait pas pourquoi – prévient : « Un premier roman, c’est souvent une gueule de bois soulagée par la syntaxe » Qu’a-t-il voulu dire ? (On a des phrases bien meilleures de Neuhoff dans nos carnets si vous voulez.)
Paris Match, la semaine dernière, informait ses lecteurs : « C’est en dehors des habituels chemins balisés que l’on trouve les meilleurs romans du moment. » Comprendre les premiers romans. On retrouve alors en pleine page le magistral premier roman de Dan Nisand, Les garçons de la cité-jardin (éditions Les Avrils). [Je me dois de préciser que Dan Nisand a publié ces dernières années plusieurs textes dans la revue Décapage.]
Cette semaine dans Paris Match encore, on tombe sur une énigme : « Il a sept livres qui sortent en cette rentrée… Mais il n’en signe qu’un seul. » Qui est-il ? Vous avez deux minutes.
Le temps de lire Le Point où Christophe Ono-dit-biot s’offre un tête à tête avec Mario Vargas Llosa. A 85 ans, l’auteur de Temps sauvages, (Gallimard, traduction de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan et Daniel Lefort) explique que ça n’a jamais été facile d’écrire. « Et cela me coûte beaucoup plus aujourd’hui ! » Une autre recette pour nos lecteurs avides de bons plans ? « Avant je travaillais six jours sur sept. Maintenant c’est sept jours sur sept. Parce que j’ai toujours des projets. Je sais que je n’arriverai jamais à tous les matérialiser, mais cela me fait sentir que je suis encore vivant. » Bon procédé pour se sentir exister – et vous pouvez essayer chez vous sans risque. Mario Vargas Llosa assure aussi que « lire un bon roman nous rend plus critique à l’égard de ce qui nous entoure, et que c’est extrêmement subversif dans une société qui prétend exercer un contrôle absolu sur l’individu. » (Ça marche également si on ne vit pas en Amérique latine.) Alors ? « Il a sept livres qui sortent en cette rentrée… Mais il n’en signe qu’un seul. » Une piste ? Fin du suspens : il s’agit d’un traducteur. Nicolas Richard a traduit plusieurs livres qu’on trouve sur les tables des libraires et publie, sous son nom, Par instants,le sol penche bizarrement. Carnets d’un traducteur chez Robert Laffont. D’après Paris-Match, Nicolas Richard « dresse un catalogue cocasse des auteurs anglo-saxons qu’il a adaptés, et évoque le côté ludique d’une activité qui pourrait passer pour rébarbative. » Lui n’a pas l’air de se plaindre.L’aspirant écrivain qui voudrait aussi traduire des livres pour gagner sa vie devrait y trouver quelques astuces…