Archives par mot-clé : PATRICK GOUJON

Numéro 63

DÉCAPAGE 63

LES CHRONIQUES

Le Journal littéraire
Nathalie Kuperman
Un voyage dans le temps avec l’auteur de On était des poissons
Regards
#1.  6 septembre 2018 13
Une journée dans la vie d’Olivier Liron
#2. Pour le livre 20
Une exploration avec des chiffres et des lettres
d’Olivier Bessard-Banquy
La Pause
Alban Perinet et Jean-Baptiste Gendarme
Où l’on parle de quelques livres…
L’Interview imaginaire
Henri Calet
Une discussion optimiste avec le romancier réaliste des « sales petites vies »
Posture (et imposture) de l’homme de lettres
Jean-François Kierzkowski
Du sexe en littérature
L’Air Vilain
Philippe Vilain

Lire, dit-il

Thématique

Écrivains : vos carnets
s’il vous plaît !

Une plongée dans l’intimité de la création grâce à l’exploration des carnets d’écrivains.

Carole Fives
Clément Bénech
Clément Ribes
Colombe Boncenne
Éric Chevillard
Éric Laurrent
François-Henri Désérable
Jakuta Alikavazovic
Julia Kerninon
Patrick Goujon
Simon Roussin
Sylvain Prudhomme
Vincent Almendros

La Panoplie littéraire d’Yves Ravey

Discret et pudique, écrivain d’une vingtaine de livres aux Éditions de Minuit, il se prête au jeu de l’autoportrait et explore ses archives, sa bibliothèque, évoque son rapport à l’écriture et nous parle de son métier.

Création

Quentin Desauw
Une vieille histoire de famille
Une nouvelle illustrée par Marion Bucciarelli
Phil Guénin
La voix de Béatrice
Une nouvelle illustrée par Elise Jeanniot
Philippe Béon
Fallait le dire !
Des microfictions illustrées par Maya Brudieux
Guillaume Tavard
Joyeux anniversaire, Gwendoline
Une nouvelle illustrée par Elis Wilk

Entre (parenthèses) par Patrick Goujon

Entre (parenthèses)

(Un samedi matin, on cherche son numéro de train sur le billet, puis le numéro de voie correspondant sur le tableau d’affichage des départs. On a le temps pour un café, ou pour une cigarette, ou on court, en retard, ou on fait un crochet par le point presse. On monte en seconde classe, ou en première, on se demande s’il y aura une prise dans la voiture pour charger le portable, ordinateur ou téléphone. On essaie de repérer des visages familiers. On est gêné, on est sûr de soi, les mots nous viennent spontanément ou ils nous manquent. On salue de la tête une connaissance, ou bien une bise, on demande si ça va depuis la dernière fois, c’était quand déjà, septembre dernier, la rentrée d’avant, Deux ans ? Vous êtes sûr ? (Lundi, on jouera des coudes dans le métro, Pardon, excusez-moi ; dans les embouteillages on dira Bon t’avances oui ou merde ? ; on demandera Sortez vos trousses et vos cahiers, sourire subliminal sur le visage, tout le monde a compris la consigne de l’exercice 3 page 46?,)

On (re)découvre la ville entre la gare SNCF et le lieu du salon. En minibus, à pied, en autocar. Tiens, c’est super que tu sois invité, t’as un nouveau roman ? Sous la bruine, ou sous un soleil d’été indien, on capte les alentours à l’arrachée, Si vous ne devez voir qu’un truc, c’est celui-là. On prend deux, trois photos à l’iPhone à poster plus tard sur Facebook, on saurait approximativement positionner la ville sur une carte, ou pas, mais peu importe, Le centre historique est superbe. On voit essentiellement des terrasses de café piquetées de parasols Pampryl, des peupliers alignés sur l’avenue du Général Leclerc. (mardi, on pliera les t-shirts piochés un à un sur l’étendoir ; on réservera d’un clic de souris un séjour à Barcelone pour les vacances de la Toussaint ; et sinon, T’as pensé à acheter de la mozzarella ?,) Un libraire nous installe derrière une pile de livres, les nôtres, nous informe qu’il a adoré, surtout le premier, ou s’excuse de ne pas nous avoir lu, Vous voulez boire quelque chose ? On écoute avec plaisir cet auteur à gauche qui relate son voyage en Sibérie et cet autre à droite qui dépeint sa rencontre avec Ginsberg. La foule, clairsemée à ce moment de la journée, des promeneurs derrière des romans, qui ralentissent parfois, les promeneurs, échangent un regard, parfois, retournent le premier exemplaire sur la pile, lisent le résumé, feuillettent, Quelle page ? on se demande, traquant la moindre réaction sur le visage, et subitement alors on pense à un autre visage qui se trouve à quatre cents bornes et on ne saurait dire si quatre cents bornes ça n’est pas rien comparé à la distance qui nous sépare du visage de l’autre côté de la table. (mercredi, on enfournera dans le microondes une barquette surgelée de tagliatelles au poulet ; on appellera la maison de retraite dans la Sarthe pour s’informer de comment va maman, ou papa ; on effacera les lignes superflues d’un tableau Excel,)
On compare le restaurant qui nous a été désigné avec celui de tel ou tel auteur, on se verrait bien déjeuner en reparlant de Ginsberg. On est végétarien, on mange sans gluten, on se taperait volontiers une bonne bavette/côtes-durhône. Les pichets et les verres se succèdent, on est ivre, endolori, on est sur les nerfs, on avale un café. Un musicien joue du bandonéon sous les arcades de la grand-place ; on se rappelle un souvenir ancien ou un évènement qui n’aurait
pas encore eu lieu, Tu travailles sur quoi en ce moment ?, et si les deux coexistent assez, le non-vécu et le passé, et qu’on craint de les perdre, on sort un carnet de sa poche, on inscrit quelques mots, à table devant les autres, en cachette dans les toilettes, des images ou des sensations qu’on emportera avec soi quand le tango argentin aura cessé de jouer, convaincu que quelque chose de nouveau est en train de s’écrire. On se répète le début de la phrase « Pourquoi ce qu’on a finit, pourquoi… » (jeudi, on s’épuisera en arguments devant un agent du Pôle emploi ; on avalera une pilule bleue et deux comprimés blancs ; on laissera sur messagerie, la poitrine comme gonflée à l’hélium, des mots d’amour d’une simplicité insensée, Tu me manques, c’est dingue comme tu me manques,) On parle listes de prix littéraires, montant d’à-valoir sur le prochain roman, (més)ententes avec l’éditeur, Et ça parle de quoi ce que vous écrivez, c’est marrant ? On coche une croix sur la nappe en papier à chaque vente, on regrette d’être venu, on alpague le chaland, on observe avec mépris et/ou embarras ceux qui font l’article et dessinent des croix sur les nappes. On s’applique à trouver une dédicace originale, un tant soit peu personnalisée… Je la mets à quel nom ? Vous êtes de la région ? On est heureux d’être là où on est. Le soir venu, on longe les quais du port, avant le cocktail dînatoire durant lequel monsieur le maire fera son discours. On écoute les clapotis de l’eau contre
la coque des bateaux qui mouillent. La lumière baisse, des loupiotes s’allument, le mouvement lent et incessant des vagues grignote les lettres capitales du Lady Singapour, les arabesques du Let it be.
(vendredi, on avancera de deux épisodes dans la saison 4 de The Wire ; on bouquinera vingt pages d’un Que sais-je ? ; on décrottera à la brosse les semelles boueuses des baskets Littlest Pet Shop de la petite en prévision de sa sortie accrobranche du week-end,) On reprend la promenade sur les quais dans le sens inverse. En titubant. Se pressant. Marquant des haltes. On échoue dans une boîte locale, sous les spots des projecteurs on se déhanche au son d’un classique des années 80, on sirote une vodka tonic, on note le 06 d’un(e) inconnu(e), Voyage voyage, on se sent con, on s’en fout, on a des crampes d’estomac, présence anachronique, on va et vient, Comme une boule de flipper.
Dans la chambre d’hôtel, on mate distraitement une rediffusion de Kill Bill sur le câble, en se déshabillant. Jambes et bras volent dans tous les sens à l’écran, corps débités en morceaux, façon cartoon, deux heures du matin au réveil, on ôte pull et pantalon, on s’étend sur le lit. Des rires et des voix de couche-tard dans le couloir, plus bruyants que le tchac-tchac des armes blanches. On s’endort contre un 06, on s’effondre de fatigue, on fait couler un bain, on se tourne et se retourne sous la couette, on se masturbe pendant que le massacre fait rage, membres sanguinolents tchac-tchac, éparpillés, on implose, avant le silence, on fixe le plafond, on s’endort devant le générique, joue collée à l’oreiller froid, on enlace le traversin, on serre de toutes ses forces l’odeur de lessive fraîche, on respire, dans l’incertitude nocturne que la poignée de mots grattés plus tôt dans la journée accouche de quoi que ce soit de nouveau, « Pourquoi ce qu’on a finit par nous manquer davantage que ce qu’on n’a pas eu ? » (samedi matin, on se posera sur le canapé du salon, on soufflera sur le café, le thé Earl Grey, on se brûlera la langue, et tous les mots que nous ne savons pas dire, nombreux, nous les exprimerons entre parenthèses avec gestes et regards.))



Patrick Goujon
Né en 1978. Ses romans ont pour décor la banlieue (qu’il connaît bien). Travaille par ailleurs comme éducateur scolaire et intervient régulièrement auprès du jeune public. Trouve parfois le temps d’écrire. Dernier livre paru : À l’arrache, Gallimard, 2011.


Texte publié dans le numéro 45 de la revue Décapage.

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LE NUMÉRO 53

 

CHRONIQUES

Le Journal littéraire 
Alice Zeniter Quelques jours avec l’auteur de Juste avant l’Oubli (Flammarion, 2015)
Regards #1
Erwan Desplanques
Que fait l’auteur quand il est absent de Paris?
Regards #2
Pierre Ducrozet Où l’auteur démontre que Jean-Michel Basquiat est un grand écrivain sans livre
L’Interview imaginaire
Louis-Ferdinand CélineUne conversation avec Céline, un poil grincheux
La Pause
Alban Perinet et Jean-Baptiste Gendarme 
La meilleure façon de faire lire un livre, c’est d’en parler
À vos idoles
Valérie ZenattiUne lettre pour Charlotte Delbo 
Postures (et impostures) de l’homme de lettres
Jean-François Kierzkowski
Ceux qui parlent comme ils écrivent 
Et moi je vous en pose des questions ?
Bernard Quiriny
Tout savoir sur l’auteur en moins de soixante secondes
 
THÉMATIQUE
Le jour où mon manuscrit a été accepté
Treize écrivains reviennent sur ce jour sacré où leur livre à été béni par un éditeur
Avec :
Antonia Kerr
Carole Fives
Clément Bénech
Emmanuel Adely
Éric Holder
François Bégaudeau
François-Henri Désérable
Iegor Gran
Jean-Philippe Blondel
Nathalie Kuperman
Patrick Goujon
Valentin Retz
Xabi Molia
LA PANOPLIE LITTÉRAIRE
Maylis de Kerangal
Livre après livre, Maylis de Kerangal construit une grande oeuvre protéiforme.
Entre un voyage en Amérique du Sud et un séjour en Allemagne, elle nous a ouvert les portes de sa « chambre » pour nous plonger dans son univers et nous parler de son métier d’écrivain.
CRÉATIONS
Des nouvelles illustrées et cent pour cent inédites.
Jean Grégor
Thomas B. Reverdy
Robert Benchley
Thomas Vinau
Alexis Barthet