Lemarchand et la littérature (et les femmes)
Jacques Lemarchand est journaliste, auteur et éditeur. Enfin, on devrait dire : était journaliste, auteur, éditeur. Il est mort en 1974. Il travaillait chez Gallimard – ce n’est pas ça qui l’a tué, on vous rassure. Il était dans les petits papiers de la direction. Preuves : Jean Paulhan lui a proposé de diriger la NRF en 1943 pour remplacer Drieu La Rochelle – mais Lemarchand a refusé, on imagine aisément pourquoi (même si pendant la guerre, il n’a pas vraiment été le plus résistant.) ; Gaston Gallimard – himself – le nomme au célèbre comité de lecture de la maison.
Le journal de Lemarchand est aussi intime que professionnel. Il consigne, pour lui-même – sans penser qu’on le lira 40 ans plus tard – les faits et gestes du quotidien. Exemples ? La main aux fesses qu’il glisse sans vergogne à une jeune auteure, ceux qui viennent le voir dans son bureau, les réunions du comité de lecture qu’il appelle « la conférence », ses déjeuners et soirées. Il est touchant de sincérité, ne s’épargnant pas. Il parle beaucoup de ses relations avec des femmes – autre époque ! C’est d’ailleurs très cru, comme dégagé de tout affect. Mais ça permet de saisir la psychologie de ce type qui est, dans le fond, terriblement seul.
Il a un style. Quasi télégraphique. Sec. Proche de la note.
Se soucie-t-il de qui le lire plus tard ? Non, pas à notre connaissance. Quand son journal a été trouvé dans son bureau chez Gallimard, il a été rendu à sa famille en leur demandant d’attendre au moins 30 ans avant d’envisager une publication.
Lemarchand a-t-il des choses à révéler ? Pas vraiment. Il n’y a pratiquement pas de mention de ce qu’il se passe dans le monde, comme s’il ne voyait rien, comme si ça ne l’intéressait pas.
Lemarchand et la littérature (et les femmes), c’est tout. C’est même parfois très frustrant. Si Ionesco passe le voir, il note : « Visite de Ionesco. » Que se sont-ils dit ? Le but de la visite ? On n’en sait rien. Par contre, il détaille comment il rentre d’un dîner : « En taxi », à quelle heure, il se couche : « 22h30 », ce qu’il fait après une bonne nuit : « Me fait sucer au réveil. »
Cet été, osez la lecture !
A lire : Jacques Lemarchand, Journal, Trois tomes, Claire Paulhan Éditions, 2020.