[Dolce vita]
Vivre épuise – même l’été à Rome, fin des années 60. Les journées peuvent être chaudes ou pluvieuses et sont souvent vides.
Léo Gazzarra en sait quelque chose. La vie semble tout faire pour lui échapper : pas de logement, petits boulots inconsistants dans des revues ou des journaux sportifs, solitude désarmante, problème avec l’alcool (il essaie d’arrêter – ne lui en parlez pas) et l’argent (il n’en a pas).
Une seule certitude : « La vie, il valait mieux se contenter de l’observer » – ce qu’il fait très bien, pour notre plus grand plaisir. Parfois quand quelqu’un « mettait les voiles » il en profite pour s’installer dans son appartement. Les chambres d’hôtel, c’est comme tout, on s’en lasse. Il passe son temps à échafauder « des plans pour parer à la déveine », sans y croire vraiment.
Deux amis bienveillants essaient de le pistonner dans des boulots qu’il ne sait pas garder. Pour quoi faire ? semble demander Léo en haussant les épaules. Le désespoir est au bout de la ligne. Et Léo est « au bout du rouleau » (expression qui revient un peu trop souvent, dommage. Tout comme le mot : « Brancal »).
Le soir de ses trente ans, il pleut. Il passe chez ses amis Viola et Renzo Diacono, le ventre vide. Pas de chance : ils reçoivent ce soir-là. Les convives affichent « cet air satisfait des gens dont l’estomac est plein. » Eux, ils s’occupent de leurs carrières. Heureusement, Léo repère Arianna. Au premier coup d’œil, vous cernez la fille (et Léo aussi) : tourmentée, magnifique, fragile. Signe particulier : vous fera souffrir. Léo le sait mais il n’est plus à un naufrage près. Arianna : le genre qui vous embrasse en disant « Ne va pas croire que je t’aime, hein. » On est prêt à tout lui pardonner, même ses retards. Vaut mieux : avec elle, l’heure du rendez-vous, c’est l’heure où elle commence à se maquiller. Est-ce vraiment une fille pour Léo ? Oui. Pour des virées nocturne à travers la ville, notamment. Pratique : « Elle connaissait la nuit comme ses poches. » Est-ce la fin des ennuis de Léo Gazzarra ? Pas sûr.
Le Dernier été en ville, est le premier roman de Gianfranco Calligarich publié en 1973. Calligarich saisit aussi bien la ville que l’époque – on observe à travers le regard vaguement dépressif de Léo cette société italienne qui peint, travaille à la télévision, réalise des films : « Ils semblaient dire que, oh, ils savaient fort bien comment se passaient les choses, dehors, dans ce monde plein de pluie et de bassesses, mais qu’ils savaient aussi qu’un verre de scotch et des bavardages entre amis rendraient la pression de la multitude contre les remparts tout à fait négligeable. »
Ce roman d’ambiance par excellence, aux dialogues piquants est un véritable petit chefs-d’œuvre mélancolique comme on les aime. Il y a tellement de phrases à souligner qu’on conseille vivement de le lire deux fois. Premières phrases : « Du reste, c’est toujours pareil. On se démène pour rester à l’écart et puis un beau jour, on se retrouve embarqué dans une histoire qui nous conduit tout droit vers la fin. » La fin, justement, est bouleversante. « Bon Dieu, il y avait donc encore quelque à chose sauver, dans ce monde ! » dit à un moment Léo. Oui, ce magnifique roman.
Cet été, osez la lecture !
A lire : Le Dernier été en ville de Gianfranco Calligarich, traduit de l’italien par Laura Brignon, Gallimard, 2021.