Tous les articles par Décapage
Numéro 63
Numéro 62
CHRONIQUE
Le Journal littéraire • Philippe Vilain
Depuis Naples, au printemps
Regards
#1 Hommage à Éric Holder
Avec Alexandre Fillon, Franck Courtès, Jean-Philippe Blondel
#2 Être beau
Un cri du coeur de Frédérique Deghelt
L’Interview imaginaire • Jean-Patrick Manchette
Un verre (d’eau) avec Jean-Patrick Manchette
Posture (et imposture) de l’homme de lettres • Jean-François Kierzkowski
De l’intérêt d’écrire quelques bons mots
La Pause • Alban Perinet et Jean-Baptiste Gendarme
Et moi, je vous en pose des questions ? • Frédéric Aribit
Tout savoir sur l’auteur en moins d’une minute, montre en main
DOSSIER
Se faire un nom (d’auteur)
Qu’est-ce qui pousse un auteur à garder son nom ou, au contraire, à choisir un pseudonyme ? Se protéger ? Protéger son entourage ? Cacher une double vie ? Pourquoi certains – selon ce qu’ils écrivent – ont une double identité littéraire ? Et qui impose ce changement ? La pression de l’entourage ? L’éditeur ?
Dix auteurs reviennent sur le choix de leur nom d’auteur.
Avec :
Blandine Rinkel,
Constance Debré
Dan Nisand,
Delphine de Vigan
Emmanuelle Bayamack-Tam
Gaël Brunet,
Julien Syrac
Michel Bernard,
Olivier Steiner
Xabi Molia.
NOUVELLES
Romain Meynier
Deuxième degré de confinement
Une nouvelle illustrée par Élise Jeanniot
Lisa Balavoine
Mini-fictions Mises en images par Marie-Pacifique Zeltner
David Thomas
Miller et les autres
Micro-fictions illustrées par Maya Brudieux
Julien Bouissoux
Un homme à la mer
Une nouvelle illustrée par Elis Wilk
La Panoplie littéraire
Philippe Djian
Le rendez-vous était pris. On devait se rendre
à Biarritz pour passer la journée chez Philippe
Djian, fouiller les tiroirs de son bureau, repérer
le bibelot sur l’étagère, chercher dans sa bibliothèque
un vieux bouquin qu’il veut absolument
nous montrer. On savait que ça ne serait
pas facile, Philippe Djian avait prévenu : « Je
veux pas m’en occuper, ça ne m’intéresse pas.
Les bouquins, suffisent. Les bouquins, point
barre. » Ce n’était pas le premier à venir à
reculons. On a l’habitude. Puis la France a été
à l’arrêt. Impossible de se rendre à Biarritz. On
a décidé de ne rien changer. On ne savait pas
quand la revue pourrait paraître, mais on
pouvait toujours passer des heures au téléphone.
Alors on l’a appelé.
NUMÉRO 61
Chroniques
Le Journal littéraire Olivier Adam
Regards
• Hommage à Dominique Noguez
Avec Florent Georgesco, Arthur Dreyfus, Mark Greene, Arnaud Viviant, Noël Herpe, Guillaume Daban
• Où est passé l’indignation par Robert Goolrick
• Hommage à François Weryergans par Alexis Ferro
Postures et impostures de l’homme de lettres par Jean-François Kierzkovski
L’Interview imaginaire Jacques Rigaut et Jean-Luc Bitton
La Panoplie Littéraire
Entrée en littérature en 1999 et récompensée notamment par le prix Wepler et le Prix du Livre Inter, Olivia Rosenthal aime jouer avec les formes pour mieux explorer nos obsessions et le monde.
Elle nous a reçus chez elle, un jour de printemps et s’est pliée au jeu de La Panoplie.
Thématique
« J’écris, mais j’aime mon boulot! »
Pour vivre les écrivains n’écrivent pas mais plaident, cultivent, enseignent, dessinent des maisons, soignent des gens, traduisent des livres, animent des séminaires, rédigent des rapports d’assurance… Et si beaucoup se plaignent de ne pouvoir vivre simplement de leur plume et de devoir exercer un travail alimentaire, d’autres sont heureux d’avoir ce premier métier épanouissant (ou pas) qui leur permet, par ailleurs, de faire bouillir la marmite.
Pour ce nouveau numéro, des auteurs reviennent sur l’activité professionnelle qu’ils ne lâcheraient pour rien au monde. Même pas pour la littérature.
Avec :
Arnaud Dudek, Christine Avel, Jean-Philippe Blondel, Jean-Paul Didierlaurent, Philippe Forest, Philippe Jaenada, Mathieu Simonet, Nathalie Kuperman, Pierre Raufast, Stéphanie Dupays.
Créations
Stéphane Héaume
La Frange
Une nouvelle illustrée par Émilie Alenda
Bernard Quiriny
Dîners de têtes
Une conversation avec le Baron illustrée par Floriane Ricard
Quentin Desauw
Bonhomme
Une nouvelle illustrée par Jean-Rémy Papleux
Erwan Desplanques
L’Esprit d’équipe
Une nouvelle illustrée par Elis Wilk
Abonnement découverte n°61 : 16 euros
Dominique Noguez et les revues littéraires…
L’Azur, la première revue de Dominique Noguez.
« J’ai créé avec trois amis ma première revue à 11 ans.
Elle s’appelait L’Azur et nous nous y surnommions Sénèque, Pétrone et Lucain ! C’étaient nos panoplies d’écrivains, au sens où l’on reçoit à Noël des panoplies d’infirmière ou d’Indien ! » Dominique Noguez
(Extrait de La Panoplie littéraire – Numéro 47, printemps-été 2013)
« Un quotidien d’écrivain, il n’y a rien de plus chiant! »
Dans ce podcast de Stereolab, l’écrivain David Thomas qui participe fréquemment à la revue, vous reçoit chez lui et évoque son rapport à l’écriture, ses sources d’inspiration et le milieu de l’édition… Une rencontre à ne pas rater.
« Travail Soigné » le podcast des gens qui aiment leur métier et qui en parlent bien.
1979 PAR ÉRIC HOLDER
Le dimanche 27 janvier 2019, on apprenait avec une infinie tristesse le décès de l’écrivain Éric Holder.
Nous ne l’avions jamais rencontré. Mais nous aimions ses livres. Il participait souvent, selon les thèmes et les invitations, à la revue. Dans le numéro 53, il se souvenait du jour où son premier manuscrit avait été accepté par les Éditions Le Dilettante. C’était en 1984.
Éric Holder, 1979
En 1979, j’ai dix-neuf ans de province, il ne me reste plus beaucoup de temps pour me rattraper… Je me suis acoquiné exprès avec une Parisienne, la ville lumière, qui l’a tissée, n’entre pas pour rien dans l’amour que je lui porte. Hélas Delphine, à sa majorité, préfère s’installer au milieu de la lavande, sous la Sainte-Victoire. Afin d’adoucir mon impatience, elle raconte le métro, les cafés de Saint-Michel, les catacombes, elle m’envoûte à coup de Grand Rex, de parc Montsouris, de Bouillon Chartier… Je ne me lasse pas de l’entendre raconter la même Seine, quand elle l’enjambe. Avec elle, c’est tous les jours un viron en barlumouche à traviole Paname…
Au libraire d’Aix, Jean-Paul – que nous retrouverons plus tard chez P.O.L. –, j’ai demandé comment faire pour être publié. « Apportez votre manuscrit chez un éditeur dont vous admirez le travail. Si vous avez un peu d’argent à perdre, invitez-le dans un bon restaurant. »
Jean-Paul n’avait pas dit « envoyez » ou « faites parvenir », mais « apportez ». Mon enseigne favorite – parce qu’elle publiait, entre autres, Henri Calet, quelle descendance il aura eue, celui-là, lorsqu’on songe que même Oscar Coop-Phane, qui n’a pas la trentaine… –, bref Le Tout sur le tout nichait rue Barrault 13e.
Il n’y avait pas qu’un éditeur derrière la librairie, son comptoir à l’ancienne, mais plusieurs, une tripotée de talents, en vérité : José Bénamou, Léon Aichelbaum, Olivier Rubinstein – à qui l’on devra, plus tard, la résurrection de Kavvadias ou de Némirovsky… Que des jeunes gens avides de trouvailles, parmi lesquels Dominique Gaultier.
Béni soit ce jour où j’ai rencontré Dominique, hamdoulillah ! Je ne peux plus imaginer ce qu’aurait été ma vie sans lui, sans toi, sans son toit. En 1979, il ne juge pas complètement tarte ce que j’écris, mais me conseille de me « faire la main » en revues, de donner des textes au plus près de la littérature, là où elle s’élabore, dans le genre de creuset que vous tenez en main, par exemple.
J’en pince pour les nouvelles, ça tombe bien. Une première est publiée dans Minuit – à cette occasion je fais la connaissance de Mathieu Lindon rue de Vaugirard. D’autres textes filent au sommaire de L’Ingénu, avenue Jean-Moulin, 14e… Chaque parution vaut de découvrir Paris comme on boit un magnum au goulot, en répandant du champagne alentour. Un rendez-vous d’une demi-heure à la NRF légitime non seulement le voyage depuis le Sud, mais aussi plusieurs jours de flânerie effrénée, oxymoron, une gloutonnerie de pavé qui ne s’achève pas avec la nuit – j’ai trouvé non loin de la place Nationale des buissons où m’abriter et dormir, à l’abri des sycophantes.
C’est pratique pour aller rue Barrault, il n’y a qu’à gravir la place d’Italie, descendre de l’autre côté le boulevard Blanqui. Dominique n’en revient pas que je suive ses conseils à la lettre. Je n’en reviens pas que Dominique, au milieu de tant d’ouvrages anciens, de parutions récentes, trouve le temps d’éplucher d’autres samizdats, des fanzines où je donne des textes. Lui-même en prend un ou deux dans Grandes Largeurs, le mille-feuille maison…
Les années 1980 ont pointé le bout de leur nez à la vitrine de la librairie où l’on rencontre dorénavant Robert Giraud, Gérard Guégan, Yves Martin, Christian Zeimert, Raphaël Sorin, Berroyer, Nicole Caligaris, Denis Tillinac, Eduard Limonov, Raymond Cousse, Patrice Delbourg, Bernard Frank, Dominique Joubert (de lui : « Gide est illisible en prison »)… Ce genre d’histoire s’achève tard, dans des restaus à toile cirée, « Un couscous… Tous pour un ! » Aux petites heures du matin, courses de vitesse en poubelles vides, par tandem, en hurlant plus fort que les riverains excédés… On gagne toujours quand c’est José qui conduit.
Je suis allé voir rue Jacob ou chez Gallimard comment ça se passait. Il y a de la thune, mais gardée par des minets. Il s’agira de composer, en attendant, faut être aveugle pour ne pas voir que s’organise sur la Butte-aux-Cailles le Vierzon, le Laroche-Migennes du réseau littéraire français. J’ai dit à ma poupée : faut te s’couer… Delphine a bien voulu quitter la cour de l’Archevêché, revenir à Paris…
Nous arrivons à temps pour enregistrer un clash au Tout sur le tout. Le principal éditeur est parti en claquant la porte, traitant les autres de dilettantes. Dominique s’est penché sur le mot : « Personne qui ne se fie qu’aux impulsions de ses goûts. » Moins une définition, depuis, qu’une référence, une connivence, un mot de passe.
En 1984, « Ça ne t’ennuierait pas, demande-t-il, d’essuyer les plâtres de la maison, en compagnie de Bernard Frank ? » Ainsi serait clairement définie la double orientation du Dilettante, d’une part la réédition d’auteurs pour hapifious, dont les troncs d’après-guerre feuillaient jusqu’à nous – Grognards et Hussards, du prince des chroniqueurs, avait paru dans Les Temps modernes en 1952 – ; d’autre part, les débutants comme mézigue (Nouvelles du Nord sera tiré à 333 exemplaires, pareil que Grognards et Hussards, puisque son auteur disait « qu’on n’avait jamais qu’un village de lecteurs, 333 habitants… »)
Deux nouvelles dans celles du Nord : un coursier avenue Montaigne, un appartement faubourg Saint-Denis… Il neige rue Barrault quand Dominique y organise une petite fête en notre honneur à tous. La neige, à Paname, c’est le plus enivrant des sorbets, d’une légèreté ! On en lécherait sur le capot des voitures, tu peux pas comprendre, mon pote… Enfin si, maintenant tu peux.
Décapage numéro 53
NUMÉRO 60
Numéro épuisé
Chroniques
Le Journal littéraire
Erwan Desplanques
Une saison avec l’auteur de L’Amérique derrière moi.
Regards
#1 Le Paris de Jean Echenoz
Une exploration dessinée de Guy Delisle
#2 L’Intelligence du romancier
Une démonstration de Clément Benech
#3 Comment j’écris
Une explication d’Yves Ravey
La Pause
Alban Perinet et Jean-Baptiste Gendarme
À vos idoles
Colombe Boncenne
La bibliothèque des idoles
L’Interview imaginaire
Une heure avec Charles Bukowski par Romain Monnery
Posture (et imposture) de l’homme de lettres
Jean-François Kierzkowski
Existe-t-il un environnement géographique propice à la création littéraire ?
Le dossier
L’éditeur assure un rôle déterminant dans l’accès au champ littéraire. Comme le souligne Bourdieu, l’éditeur « n’est pas seulement celui qui procure à l’oeuvre une valeur commerciale en la mettant en rapport avec un certain marché […] il est celui qui peut proclamer la valeur de l’auteur qu’il défend. » Mais l’écrivain est-il moins écrivain avant cette première consécration ? Comment l’écrivain – et son entourage – vit-il l’avant publication ? Le moment où il passe ses nuits et ses week-ends à écrire, sous le regard – amusé ? complaisant ? encourageant ? moqueur ? – de ses proches.
Quatorze auteurs reviennent sur cette période qui précède le premier contrat d’édition, quand il fallait assumer – socialement – le fait d’écrire alors qu’ils n’avaient encore rien publié.
Avec : Carole Fives, Constance Joly, Dominique Noguez, Éric Faye, François-Henri Désérable, Laurence Tardieu, Lisa Balavoine,
Maria Pourchet, Matthias Jambon-Puillet, Nicolas Fargues,
Nicolas Mathieu, Philippe Jaenada, Sylvain Pattieu, Sylvain Prudhomme.
La Panoplie littéraire
Tanguy Viel par Baudouin.
Entré en littérature en 1998, aux éditions de
Minuit, Tanguy Viel est l’auteur d’une dizaine de
livres, dont Article 353 du Code pénal, Grand Prix
RTL-Lire en 2017. Il nous a reçus chez lui, sur les
bords de Loire, un jour gris comme un mois de
novembre et s’est plié au jeu de la Panoplie
littéraire.
Pour nos lecteurs, il évoque son enfance, ses
figures tutélaires, ses amitiés formatrices, explore
sa bibliothèque, ouvre les tiroirs et revient sur
chacun de ses livres.
Créations
Quentin Desauw
Derrière les fagots
Nouvelle illustrée par Jean-Rémy Papleux
Clémence Michallon Daniels
Laissez-moi vous parler d’elle
Nouvelle illustrée par Elis Wilk
Wolcott Gibbs
L’auto-entrepreneur
Nouvelle traduite de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Brument
Et illustrée par Maya Brudieux
Arnaud Modat
Les limites de la philosophie chinoise
Nouvelle illustrée par Floriane Ricard
Thomas Vinau
Ternaire pépère
Nouvelles en 3 lignes illustrées par Émilie Alenda
NUMÉRO 59
Avez-vous lu l’Été deux fois?
En 1990, Guillaume Daban tombe littéralement amoureux d’un livre. Il s’agit de L’Été, deux fois, unique roman de Christian Costa, paru en toute discrétion aux Éditions de Minuit en 1989. Pour lui, comme pour une poignée de lecteurs fervents, ce roman est un chef d’œuvre. Pendant des années il va tout faire pour promouvoir l’ouvrage, rachetant même le stock aux éditions de Minuit. Pour Décapage il revient sur cette aventure. Récit.
Tout commence un jour de juin 1990, non loin du boulevard Saint- Michel, dans un de ces bacs où l’on brade la littérature. Un volume blanc orné d’un fin liseré bleu et noir retient ton attention. Son titre t’intrigue. L’Été, deux fois. La 4e de couverture, elliptique, ajoute au mystère. Christian Costa ? Le nom de l’auteur ne te dit strictement rien. Un premier roman, sans doute, dont l’achevé d’imprimer indique la date du 1er décembre 1989. Tu acquiers le livre d’occasion, publié aux Éditions de Minuit, pour une poignée de francs. D’un coup d’ongle, tu décolles la petite étiquette jaune puis tu commences à lire l’exemplaire, debout, dans la rue ; tu finis, fasciné, par t’asseoir sur un banc, carrefour de l’Odéon, pour poursuivre la lecture. « N’ajouter rien » est l’ultime phrase du livre. Tu relis le roman, le soir même, allongé sur ton lit.
Par un phénomène troublant, les phrases qui se succèdent sous tes yeux traduisent ton état d’esprit. Ces petits paragraphes poignants, tu aimerais les avoir écrits ; peut-être même les as-tu déjà rédigés, en rêve, ou dans une autre vie. Tu es vaguement étudiant et ce court roman de 128 pages, privé de pathos, drôle et désespéré, est en quelque sorte tien. L’écriture de dentellière et le côté pince-sans-rire évoquent d’emblée les meilleures pages de Jean-Philippe Toussaint ou les premiers romans d’Echenoz. Christian Costa ne serait-il pas, sans le savoir, le chef de file de l’école minimaliste ? Mais tu n’es pas dupe : l’humour de cet Oblomov moderne est un paravent, qui masque la mélancolie de cet ouvrage où il ne se passe (apparemment) pas grand-chose et où il est pêle-mêle question d’amitié virile, de tauromachie, de thé à la menthe, de plage, d’oisiveté, de désillusions, du permis B, de velléités, de volley-ball, de l’impossibilité d’écrire et de la difficulté de vivre. Sénèque et Schopenhauer surgissent au détour d’une phrase. Présence de Perros et de ses Papiers collés un peu plus loin. Difficile, en refermant ce livre envoûtant, de t’empêcher de songer à L’Étranger de Camus ou à Un homme qui dort de Perec. Quatre ou cinq personnages : Boz englué dans des projets d’écriture ; Llac qui rêve de devenir torero et finit chauffeur-livreur ; Commons, usé par les chantiers, dont le cœur flanche à l’hôpital ; Madame et Mademoiselle… Une ligne narrative souple structure ce roman où deux étés s’entremêlent, subtils et suggérés, rendant l’écoulement du temps presque palpable au fil des pages.
Tu ne possèdes, au sujet de l’auteur, que des bribes d’informations. Un lieu (Béziers) et une année de naissance (1954), un cliché noir et blanc où Costa, baraqué, en jean et T-shirt, sur fond de bergerie corse, affiche de faux airs de Depardieu version Valseuses. C’est mince mais ça nourrit l’imagination. Soucieux d’en savoir plus, tu écriras aux Éditions de Minuit ; tu demanderas des nouvelles. Tu t’étonneras que son nom ne figure plus dans le catalogue des auteurs, entre Chevillard (Éric) et, disons, Duvert (Tony). Ou Deville (Patrick). Une vague indignation te gagnera. Réponse rapide du directeur commercial : le titre est toujours disponible, sur simple commande. En d’autres termes : « Nous ne pilonnons pas, monsieur. » En 1996, tu reçois même une lettre dactylographiée de Jérôme Lindon. « Vous nous avez demandé des nouvelles de Christian Costa. Impossible de vous en donner : nous n’en avons pas nous-mêmes depuis plusieurs années. Nous savons seulement qu’il a quitté la Corse où il habitait quand il nous a adressé L’Été, deux fois. Depuis, rien, ni lettre ni manuscrit. Je le regrette comme vous. »
Ces quelques lignes sonnent comme l’incipit d’un roman de Modiano. Le mystère s’épaissit. Tu imagines Costa en cavale, ou dans le maquis. Il ne manquerait plus qu’une carte de visite anonyme « Hommage de l’auteur absent de Paris », glissée dans un exemplaire du service de presse (SP), pour fortifier l’énigme.
Les saisons passent. Chaque été, au mois d’août, tu relis le roman avec la même ferveur. Tu finis par associer ce livre à l’été, dont il constitue un moment. Tu emportes volontiers le volume à la plage, le posant en accent circonflexe sur le sable. Tu le loges souvent dans la boîte à gants de ta voiture ou dans la poche intérieure de ton sac à dos. Te rassure l’idée de le savoir à portée de main. Tu n’as plus peur des métaphores : L’Été, deux fois devient vite un vieux vêtement de plage, usé jusqu’à la corde, qu’on ne jetterait pour rien au monde, et qu’on abandonne à regret à la fin du mois d’août pour mieux le retrouver l’été suivant. L’été n’est pas la seule saison propice à sa lecture : à la faveur des frimas, il t’arrive de relire le roman ; plaisir du texte, intact. Tu en commandes une dizaine d’exemplaires par an, à la librairie Lamartine (XVIe), avant la grande dispersion estivale. Tu les offres fin juillet à tes amis, à ton entourage, suscitant souvent la perplexité de tes proches. Cette forme de fétichisme finit par les chiffonner. Ton engouement pour ce texte ne friserait-il pas la folie ? Non, tu caresses simplement l’espoir d’élargir le cercle des lecteurs de Christian Costa. Tu as la faiblesse de penser qu’ils formeront bientôt, presque à leur insu, une société secrète.
En 2008, mû par une impulsion, tu rédiges une longue lettre à l’intention de Christian Costa puis l’expédies « aux bons soins des Éditions de Minuit ». Lettre morte ? Oui, soyons franc, tu ne t’attends pas à un signe de vie dudit Costa, d’autant que Minuit, de son propre aveu, a perdu la trace de son auteur.
Coup de théâtre : tu reçois une réponse bouleversante, postée de Perpignan. Une écriture ronde, appliquée, presque enfantine, brève à la Blondin, parcourt les deux feuilles quadrillées d’un bloc-notes. Costa évoque son roman qu’il croyait « oublié définitivement et depuis longtemps », dont il doutait parfois « qu’il ait pu appartenir à la catégorie des livres ». Il te remercie, au passage, pour la « petite circulation fervente » que tu as entretenue autour de ce livre, et ce « filet d’existence » dont a bénéficié ce roman grâce à toi.
S’ensuit un embryon de correspondance, un échange épisodique de cartes postales. Souvent sépia et sibyllines, elles ne disent pas grand-chose de leur auteur qui se retranche, à l’évidence, derrière des notations anodines : un jour, il découpe et colle sur une carte postale à bords dentelés le calendrier des marées du Canet-Plage ; il « noie » le poisson, en somme. Il multiplie les allusions à ses activités balnéaires de peur, peut-être, de répondre à la seule question qui te taraude : « Pourquoi n’écrivez-vous plus, Christian ? » Tu glanes, au gré des cartes, de minces indices ; tu apprends par exemple qu’il est professeur de français dans un lycée technique du sud de la France ou que son fils, inscrit à la Fémis, vit rue Tournefort, dans le Ve arrondissement de Paris. La seule mention de cette rue réveille le fantôme de Frédéric Berthet, l’auteur de Daimler s’en va, dont ce fut le dernier domicile.
Ta dévotion pour L’Été franchit un palier supplémentaire l’année suivante, à Saint-Germain-des-Prés, lorsque tu décides de rendre hommage à Christian Costa. Il s’agit, sous l’avalanche des 659 romans de la rentrée littéraire de septembre 2009, de célébrer un livre vieux de vingt ans. Il sera présenté, quelques jours durant, sous toutes ses coutures : manuscrit, tapuscrit, correspondance, contrat d’édition et autres documents que Costa a eu la gentillesse de te confier. Tu as répandu un peu de sable – prélevé sur la plage de Saint-Jean-de-Luz – dans la galerie Nicolas Deman. Tu as suspendu sur un fil, à l’aide de pinces à linge, quelques pages arrachées au roman, l’ensemble formant une sorte d’installation littéraire. Pas mal de monde le soir du vernissage, un peu de presse, point de Costa ; un succès d’estime, en définitive. Emmanuelle Vial, la directrice de la collection Points, au Seuil, t’envoie un courriel curieux, la veille du vernissage : « Si vous parvenez à convaincre Christian Costa d’écrire à nouveau, et qu’il
est publié, je m’engage ici à passer L’Été, deux fois en Points. » Un contrat caduc, sans suite. La perspective d’une parution en poche s’éloigne.
Tu consacreras à Costa une seconde exposition plus ambitieuse, en 2010, dans un lieu voisin du précédent : la galerie Catherine & André Hug. Tu as racheté, avec quelques amis de longue date, tous les exemplaires invendus du roman auprès de l’éditeur. Tu les loges dans cinq boîtes en Plexiglas d’un mètre de long – le « mètre Costa » – contenant chacune 83 volumes. Tu renouvelles l’opération pour cinq petits cubes – le « cube Costa » – contenant chacun 10 volumes. Sur la 4e de couverture du dernier ouvrage de chaque boîte, Costa a écrit, au Bic bleu, une phrase extraite du roman, visible en transparence. D’une complexité infinie, la fabrication de ces boîtes donnera du fil à retordre au fournisseur. D’aucuns diront qu’elles sont le tombeau de ce livre tombé dans l’oubli. Ou une métaphore de la mort de la littérature ? Possible aussi. Il neigera rue de l’Échaudé.
L’exposition frôlera le fiasco en matière de fréquentation. Fait touchant : l’achat de ces centaines d’exemplaires a généré des droits d’auteur. Costa a bloqué cette somme d’argent, sur son compte en banque, dans l’intention de nous la restituer. Refus de notre part, bien entendu. Entre ces deux micro-événements, tu as rencontré le romancier à deux reprises : Costa, deux fois.
À Saint-Cloud, lors d’un dîner au terme duquel tu as noté, sur ton carnet Moleskine, ces trois mots concernant Christian : modestie, humour, intelligence ; puis, rue Guisarde, à deux pas de la place Saint-Sulpice, à l’occasion d’un repas dont tu as tout oublié sauf la bavette à l’échalote commandée par Costa et son insistance pour régler l’addition ce soir-là. La «présence réelle» laissait dans ton esprit un souvenir plus évanescent que vos maigres échanges épistolaires ou l’inlassable relecture de son roman…
Tout s’arrête un jour de juin 2014, où tu as renoncé à donner une seconde vie à L’Été, deux fois. Tu ne reçois plus de cartes postales de Perpignan depuis de longs mois. Tes rêves de réédition se sont visiblement évanouis. L’enthousiasme d’un éditeur bordelais (Finitude), dont tu apprécies la qualité du catalogue et le soin apporté à la fabrication de ses livres, n’a pas suffi à convaincre Christian Costa. Son directeur, Thierry Boizet, a reçu une lettre de refus dont tu ne veux pas connaître la teneur.
Regrets. Le monde à l’envers ? En un sens, oui. Pas grave. Tu rouvriras le roman en août 2015. Pour l’heure tu le feuillettes, les pages jaunies glissent sous tes doigts et tu tombes, bonne pioche, sur ce passage prémonitoire : «La vie, se dit-il, l’existence. Les moments creux.»
N’ajouter rien.
Guillaume Daban
Né en 1969. À Saint- Jean-de-Luz. Exerce une profession un brin désuète : secrétaire particulier d’un collectionneur.
Passion par ailleurs pour la littérature (Modiano, Perec, Echenoz, Nicolas Bouvier, Frédéric Berthet, Édouard Levé…),
la bibliophilie (envois autographes) et le tennis de table.
Retrouvez les textes, sur Christian Costa, de Dominique Noguez, Christian Oster et Éric Holder dans le numéro 52 de la revue.