Certains romans vous arrachent au quotidien, vous frappent, vous bouleversent, vous remuent. Ils vous obligent aussi à la concentration, à monter à l’assaut de la phrase, de la page. Car au-delà de l’histoire, il y a une écriture. D’un mot : un style.
Dans Les Garçons de la cité-jardin, chaque mot est pesé, chaque personnage, habilement dessiné, chaque dialogue aussi juste que s’ils étaient interprétés par un comédien de la Comédie française.
L’histoire – à la fois celle de ces « Garçons » (les Ischard) que de « la cité-jardin » (à Hildenbrandt, où on croyait à l’utopie d’une « une communauté idéale ») – prend de l’ampleur, chapitre après chapitre.
Comme tous les garçons du monde, « les enfants bénis de la cité-jardin complotent à devenir des hommes. » Mais on sait bien que ce n’est pas toujours facile.
La cité tremble quand les Ischard passent. Entendre crier dans la rue « Je suis un Ischard ! » et les yeux se détournent ou plongent sur les chaussures. Et encore : « Quand il était question d’eux, nul n’avait jamais été besoin de prononcer leur nom. » On voit le genre : « Irresponsables, asociaux, meneurs et récidivistes. »
Les Ischard ont appris à vivre avec l’absence de leur mère et un père taiseux. Photo de famille : Virgile, l’aîné, une brute parfois mélancolique ; Jonas « de constitution moins solide » (donc plus hargneux) a le coup de poing facile. Le dernier des Ischard apporte un peu de lumière. Melvil, « un enfant si sensible » qui tente de tracer sa route en échappant à la violence du monde (et de ses frères). Au sortir de l’adolescence, il bosse au service courrier « dans le sous-sol de la cité administrative ». Il s’accroche à ses amis, William et Hippolyte : « Un ivrogne et un infirme. Un intellectuel et un demeuré. Deux couillons. » Pas sûr que ça aide vraiment. Et puis un soir, « Nelly Burgmüller est là, dans le salon des Ischard, assise sur leur canapé. » Pas sûr non plus que ça arrange les choses de la vie…
Dans ce roman social d’une tension extrême – la fin est prodigieuse –, Dan Nisand nous raconte l’histoire de ceux qui tentent de donner un sens à leur vie quand tout semble sans espoir. Une question en filigrane : peut-on échapper au déterminisme social ? Une piste : « Dans le fond, un Ischard reste un Ischard, se dit-il comme pour se consoler – se convaincre. » Après avoir lu Les Garçons de la cité-jardin, le lecteur, lui, ne sera plus tout à fait le même lecteur.