ROMAIN MONNERY A TESTÉ DES ATELIERS D’ÉCRITURE…

Alors que Gallimard connaît le succès avec ses ateliers d’écriture –
les ateliers de la NRF –, Romain Monnery s’est prêté à l’exercice… C’était en 2014, dans le numéro 45. Récit

 

J’ai écrit un livre ; je ne me souviens plus comment. Il y a pourtant mon nom dessus, une photo d’un type qui me ressemble à l’intérieur et quelques phrases que je pourrais avoir écrites ici et là. Mais c’est à peu près tout. Je voudrais en faire un autre, je ne saurais pas comment m’y prendre. Recette égarée. Numéro effacé. On peut dire que ça tombe plutôt mal dans la mesure où, justement, je ne serais pas contre l’idée d’imaginer une suite à cette aventure éditoriale. J’en suis arrivé à la conclusion que j’avais attrapé la fameuse maladie de la page blanche.
Sale histoire.
Pour me sortir de cette impasse, il n’y avait pas trente-six solutions : une psychanalyse, un nègre ou des cours d’écriture. J’ai choisi le moins cher. Une affiche à la bibliothèque indiquait que la mairie de Paris organisait des ateliers artistiques pour adultes. On pouvait, entre autres, pratiquer la calligraphie chinoise, l’art de l’origami ou encore s’initier au maniement des marionnettes doigts. Après quelques hésitations, je m’en suis tenu à l’écriture.

Au bureau des inscriptions, une petite femme à l’air absent m’a demandé si j’étais débutant ou non. J’ai dit, ça dépend. Elle m’a dit, faut savoir. J’ai repensé à l’enthousiasme délirant de mon éditrice pour qui j’étais la réincarnation de Stendhal. Si ce n’est plus. Et puis me sont revenus à l’esprit les commentaires qu’on pouvait trouver sur Internet à mon sujet comme quoi mon style était « mou », «enfantin », « répétitif » ou encore « vulgaire ». Je me suis raclé la gorge : « On va dire que je débute. » La brochure indiquait que l’atelier était animé par un certain David Volisson*, « auteur de nombreux ouvrages acclamés par la critique ». Comme à chaque fois que j’entends parler de quelqu’un, j’ai tapé son nom dans Google : rien. Peut-être s’agissait-t-il d’un nom d’emprunt.

Semaine 1 : J’arrive à l’adresse indiquée sur le post-it qui me sert de carte d’inscription. M’aurait-on fait une blague ? Je fais plusieurs fois le tour des environs avant de me rendre à l’évidence : le local,
dont j’aperçois l’enseigne « Paris Ateliers » scotchée sur la vitre, se trouve dans les bâtiments d’une maison de retraite. Derrière un portail. Dont je n’ai pas le code. Bien sûr. Une vieille femme en robe de chambre s’approche, passe le visage entre les barreaux :
– Vous voulez rentrer ?
– Oui.
– Vous êtes du KGB ?
– Non.
– Vous mentez. Les bolchéviques, je les renifle à des kilomètres !
Après trois quarts d’heure d’attente sous l’œil menaçant de la vieille folle, un coup de fil m’informe que le professeur d’écriture n’a pas pu se libérer aujourd’hui. Au regard de son emploi du temps visiblement surchargé, j’en déduis qu’il s’agit au moins d’un prix Goncourt. David Volisson serait-il Michel Houellebecq ? Je me demande s’il sent vraiment la charcuterie comme dans La Carte et le Territoire.

Semaine 2 : Le prof a pu se libérer. Apparemment pas les élèves. Nous sommes six en comptant le résident de la maison de retraite dont les couverts qu’il tient serrés dans ses mains laissent à penser qu’il s’est trompé de cantine. Les cheveux blancs de l’assistance ont dû l’induire en erreur. David Volisson, lui, reste impérial : « Écrire, c’est bâtir, nous dit-il. Les mots, c’est les briques. La ponctuation, le ciment. » Je ne crois plus qu’il ait eu le prix Goncourt.

Semaine 3 : Chacun leur tour, les participants doivent lire à haute voix un texte décrivant un de leurs proches. Évelyne dresse un portrait de son « con » de mari ; Josette évoque son fils « indigne » ; René dépeint sa garde-malade comme « la dernière des garces ». David Volisson hoche la tête, approuve, salue, encense, c’est bien, hmmm, ah oui, joli, profond, bravo. Quand vient mon tour de parler de ma mère sous les traits de Wonder Woman, il m’arrête, fronce les sourcils et prend les autres à témoin : « C’est typiquement ce que j’appelle de l’écriture BD, immature et incorrecte. Vous confondez littérature et télévision. »

Semaine 4 : Un débat divise la classe. D’un côté, Josette, Evelyne et Madeleine soutiennent que le plus grand écrivain français contemporain est Robert Sabatier. Liliane et Judith lui préfèrent Max Gallo. René arbitre les échanges en répétant à qui veut bien l’entendre qu’il a faim, nom de Dieu. Un sourire en coin, David Volisson et sa veste en velours refusent de prendre parti : « J’ai pour habitude de ne jamais dire du mal de mes confrères. »

Semaine 5 : Le prof a préparé un Powerpoint des rares auteurs qui valaient selon lui la peine d’être lus. Au fur et à mesure que défilent les portraits de Proust, Céline, Hugo, Echenoz et Houellebecq, il commente d’un ton lapidaire : un peu lourd, vulgaire, surfait,
gentillet, manque de cheveux… Lorsque sa propre photo apparaît derrière lui, Volisson fait mine de s’excuser, en appelle à sa
maladresse, sourit de ce quiproquo, puis conclut d’une voix mielleuse : « Je vous rappelle que mes livres sont en vente à l’accueil.»

Semaine 6 : Le point-virgule est à l’ordre du jour. Avec une fougue que je ne lui connaissais pas, Volisson nous le présente comme le signe le plus noble de la ponctuation : « Mieux que le poivre, nous dit-il, ce fidèle ingrédient relève n’importe quelle prose un peu trop fade. » Josette proteste. Evelyne aussi. Pour elles, le point-virgule est la marque des indécis. « Un signe bâtard », renchérit Robert, la fourchette en l’air. Blessé dans son amour propre, David Volisson prend son attaché-case et claque la porte. Ce qu’il pense des points d’exclamation reste sujet à interprétation.

Semaine 7 : Au tour du participe présent d’en prendre pour son grade. « C’est l’équivalent grammatical d’une caravane, nous dit le prof, une charge inutile. » Madeleine lève la main, perplexe : «Sous- entendez-vous qu’En chantant de Michel Sardou est une mauvaise chanson ? » David Volisson se passe la main dans le peu de cheveux qu’il lui reste et soupire : « J’enseigne l’écriture, madame, pas la variété. »

Semaine 8 : Une dispute éclate entre Liliane et le prof. Au risque d’en décevoir certains, ce dernier nous a révélé que personne dans ce cours n’avait la moindre chance d’être publié. Sur le chemin du retour, Liliane me prend à partie : « Qu’estce qu’il y connaît Volisson? Deux de mes lettres sont passées dans le courrier des lecteurs de Santé Magazine. Mon blog a 40 visiteurs uniques ! Tu vas voir : je te parie que mon manuscrit sur la vie de Vercingétorix sera publié d’ici la fin de l’année ! »
Après deux mois de cet atelier troisième âge, j’étais incollable sur la place du verbe dans l’œuvre d’Henri Troyat, je n’ignorais plus aucun des avantages qu’offrait la carte Vermeil et connaissais sur le bout des doigts le menu de la maison de retraite des Écureuils. Sorti de là, rien. Je ne savais pas mieux écrire et ma page était toujours aussi pâle. J’ai donc jeté l’éponge. Tant pis pour le bras que m’avait coûté cette histoire. Je préférais encore écrire avec les pieds plutôt que d’endurer plus longtemps ce supplice. Peu de temps après, un ami m’a glissé le nom d’un site, totalement gratuit, où des bénévoles animaient des ateliers d’écriture. Sérieux, cette fois. Pour voir, je me suis inscrit sur Onvasortir.com. Ma première rencontre littéraire, intitulée sobrement « Montremoi ta plume », était prévue pour la fin de semaine. Allait-on me reconnaître ? Après tout, mon livre m’avait quand même valu de passer dans un sujet sur la paresse au JT de TF1.
Vendredi soir, heure convenue, j’arrive au bar du rendez-vous.
Personne. Je demande à la serveuse si c’est là l’atelier. Elle me dit :
« Non, il y a juste un club de rencontres à l’étage, mais je suis pas sûre qu’ils vous laissent entrer : il y a déjà beaucoup d’hommes. » Je monte l’escalier en colimaçon, un brin sceptique. Me parviennent des murmures étouffés : « Les gars, en voilà une ! » Le temps de me retourner pour lever le voile sur le trouble que ne manquent jamais de jeter mes cheveux longs sur la nature de mon sexe, j’entends quelqu’un rectifier : « Laisse tomber, c’est un travelo. » Face à cet accueil glacial, je m’apprête à redescendre quand un petit homme chauve aux gesticulations théâtrales se lève et m’apostrophe : « Soyez le bienvenu, jeune homme ! Nous sommes ravis de compter votre plume parmi nous. »

La salle se remplit peu à peu. Les âges divergent, pas le genre :
aucun doute là-dessus, nous sommes entre hommes. Costumes
tirés à quatre épingles, cheveux gominés ; il ne manque qu’un
bouquet de fleurs à mes compagnons pour ressembler à des
candidats de télé-réalité à la recherche de l’âme soeur. L’écriture
serait-elle une de ces extrémités auxquelles conduit la misère
sexuelle au même titre que Tournez Manège et le Bachelor ? Qui
sait. Arrivent alors Naomi et Allegra, deux jeunes filles d’une
trentaine d’années. L’une est mince et jolie, l’autre un peu moins.
Les coups de coude s’échangent accompagnés de rires gras et de
clins d’oeil. La soirée s’est dotée d’un trophée ; elle peut désormais
commencer.
Maître de cérémonie, le petit homme chauve qui répond au
nom de Bernard lance les hostilités. L’idée de cet atelier n’est pas
d’apprendre à écrire, nous dit-il, mais de se faire plaisir. Sa note
d’intention, sans équivoque, se conclut par un sourire à l’endroit
de Naomi.

Premier exercice : Bernard nous demande d’écrire sur
les lieux de notre enfance avec une caractéristique permettant
de les définir en une phrase. Au terme des dix minutes imparties,
je lis le peu de choses qui m’est venu à l’esprit : « La maison dans
laquelle j’ai grandi ne parlait pas beaucoup mais elle était bien
sympa. »
En lieu et place des applaudissements de courtoisie qui ponctuaient
ce genre d’exercices dans le précédent atelier, j’ai
droit au silence, deux bâillements et un curage de nez. Tout le
monde se tourne vers Bernard à qui l’organisation de la soirée
confère une autorité de maître d’école. Les yeux dans le vague,
il se gratte le menton, note quelque chose dans son cahier, puis
conclut : « Bon, c’est un peu faible. Tout le monde est d’accord
là-dessus ? »
Sous les regards lourds de reproche, je crois bon de m’excuser :
« J’ai toujours été nul en description. » D’une voix paternaliste,
Bernard feint de me rassurer en prenant Naomi à témoin : « Ne
vous accablez pas, jeune homme. Vous débutez, c’est tout. »
À titre d’exemple, il décide de nous lire le fruit de sa réflexion
dans laquelle il est notamment question de madeleines, de
Proust, de murs au goût de pains d’épices, de marchand de sable
et d’amour éternel. Comme après ma lecture, le silence prend le
dessus. Sans l’approbation de Bernard, personne ne semble oser
lever le petit doigt ni donner son avis. Conscient de son pouvoir,
ce dernier s’empresse alors de rajouter : « Pas mal, hein ? »Sans plus attendre, le groupe sort de son mutisme et suit le mouvement : « Ah oui ! – Quand même, c’est autre chose. – On sent
tout de suite une force, un souffle… – Tenez, j’en ai la chair de
poule ! »
Aux anges, Bernard se lève, fait mine d’ôter un chapeau puis se
rassoit sous les applaudissements. Se tournant vers moi, il me
demande si je vois la différence. Avachi sur mon siège, je dis plus
ou moins. Naomi détourne alors l’attention :
– Monsieur, vous pouvez répéter la correction ? J’ai pas eu le
temps de la noter en entier.
– Je vous en prie, appelez-moi Bernard.

Deuxième exercice : Il s’agit d’imaginer une
rencontre avec Dieu. Que lui dirait-on ? Les propos divergent
sur la forme. Pas sur le fond. Que ce soit en vers ou en prose,
l’atelier se transforme en club des célibataires anonymes dont le
manque d’amour est le fil conducteur. Naomi l’attend le coeur
battant, Pierrick demande à ce qu’on lui
donne l’envie d’aimer, Allegra s’écrie :
« J’y crois encore. » Malgré les efforts de
Bernard pour se distinguer en invoquant
L’Art d’aimer d’Ovide, c’est finalement
Patrice, jeune cadre à l’embonpoint
dynamique, qui met tout le monde
d’accord en interprétant un texte tout en nuances : « Si je dois
aller au diable pour trouver l’amour, je n’hésiterai pas. »
L’émotion, à son comble, amène chacun à prendre Patrice
dans ses bras. Il y a des pleurs, des mains se frôlent, certains
s’échangent des numéros.

Troisième exercice : Sur le modèle de la poésie de
Boris Vian, Bernard nous invite à décliner la formule « Je voudrais
pas crever sans… ». Inspiré par la faim qui me fait chanter
l’estomac, j’en appelle à l’absurde : « Je voudrais pas crever sans
manger un steak d’autruche. »
On me regarde, interdit. Apparemment, on ne mélange pas les
steaks et la littérature. Bernard se presse les yeux du bout des
doigts comme s’il était tout à coup épuisé. Il me demande si ça
m’amuse. Je lui dis non. Il tape du poing sur la table : « Jeune
homme ! On n’est pas là pour plaisanter. »
Penaud, j’entends à peine Allegra se lamenter d’une petite voix
qu’elle ne voudrait pas crever sans qu’un homme ne lui ait dit
« Je t’aime ». Mauvaise idée. Sans prendre de gants, Bernard lui reproche de vouloir nous apitoyer. « C’est un peu grossier, lui ditil.
On dirait du Harlequin. » Quand Naomi explique à son tour
qu’elle ne voudrait pas crever sans dire au revoir à son petit chat,
Bernard se montre plus enthousiaste : « Ah oui ! Voilà ! Là, on est
dans la sincérité ; pas d’esbroufe, juste un joli coeur qui bat ! Bravo
mademoiselle ! »
En guise de conclusion, Bernard nous invite à prendre un verre au
bar. Au détour de quelques palabres sur le temps et la politique
– tous des voyous –, la conversation s’attarde sur les rencontres
littéraires organisées chaque mois par le site Onvasortir.com.
Bernard coupe court : « Si vous voulez mon avis, les trois quarts
des auteurs publiés aujourd’hui ne sont que des gratte-papier pas
foutus de mettre un mot devant l’autre. Des imposteurs. Tous !
S’il suffisait d’être publié pour être écrivain, ça se saurait. Ces
gens-là courent après l’argent, la gloire ; l’amour de l’art, ils s’en
foutent. Nous… nous sommes de vrais écrivains ! »


Romain Monnery
Né en 1980. Garçon sans histoire : collectionne les borborygmes et le temps perdu. Parfois mange, bâille et se rendort. Une fois quelqu’un l’a vu dans une piscine (information non
confirmée alors que nous imprimons).
Il a publié Libre, seul et assoupi, Le Saut du requin et Un jeune homme superflu, Aux Éditions Au Diable Vauvert,